La réforme royale ou « la révolution du Chah et du Peuple », comme le Chah d’Iran avait l’intention de l’appeler, est une réforme, disons, fondamentale dans la société iranienne de la période au cours de laquelle l’Iran s’imposait comme un nouveau pouvoir régional sur la scène politique internationale.
Bien que la réforme royale consiste à reformuler les pratiques, déjà traditionnelles, la société iranienne et ses représentants étatiques ou religieux, de la même façon que les opposants du Chah, y ont joué un rôle contraignant. Ainsi, parait-il que la réforme royale reste inachevée.
Peut-on supposer que la révolution de 1979 soit le résultat inévitable d’une évolution continue ? Quelle nouveauté a mis la tradition et le modernisme dans un duel politique ? Nous allons étudier ces sujets .
Pour répondre aux questions qui s’y imposent, nous allons commencer notre analyse de la réforme royale dès le début de l’arrivée au pouvoir du Chah, en passant par les interactions politiques et culturelles au sein d’une société, toujours sous l’influence de grands pouvoirs mondiaux, les Etats-Unis, l’Angleterre et la Russie soviétique.
Lorsque le deuxième Chah pahlavi d’Iran [1] est monté sur le trône, contrairement aux débuts du règne de Reza Chah, son père, le pays était dans une situation instable. Malgré la neutralité de l’Iran durant la deuxième guerre mondiale, les Alliés (Grande Bretagne, U.R.S.S. et Etats-Unis) envahissent le pays car ils voulaient assurer la libre circulation des marchandises vers l’U.R.S.S. L’Iran se retrouve occupé par les Russes et les Anglais. En effet, la présence d’experts et de spécialistes allemands dans le pays était un enjeu militaire. Cette présence constituait une menace pour les « Trois Grands ».
Les Anglais lancèrent alors des négociations afin de destituer Reza Chah. Ils voulaient favoriser le retour des Qâdjârs ou d’instaurer un système politique républicain. Ce qui ne déplaisait pas aux Russes. Une rencontre officielle entre les Anglais et le prince[2] qâdjâr à Londres confirma les projets politiques anglais.
Au cours de longues négociations, le premier ministre Foroughi, un vieux politicien anglophile, rejeté autrefois par Reza Chah Pahlavi, proposa une nouvelle solution : l’abdication de ce dernier comme les Anglo-Soviétiques l’exigeaient et la montée sur le trône de Mohammad Reza, son fils. Ceci constitua une opportunité pour le Chah tout au début de son règne.
Au seuil de la Deuxième Guerre mondiale, les Anglais et les Russes ont occupé l’Iran. Le jeune roi, Mohammad Reza, se trouvait dans une situation politique instable où certains Iraniens, comme les Anglais, souhaitaient le retour des Qadjar. L’abdication de Reza Chah y mit fin et son fils monta sur le trône.
Le 16 septembre 1941, Reza Shah fut expulsé d’Iran. Mohammad Reza se rendit au Parlement et prêta serment sur la Constitution. Contraint de respecter ce serment un certain temps, mais il rêvait d’être tout puissant comme son père.
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Reza Khan et l’Iran modern : un gouvernement puissant et moderne ?
Les forces alliées quittèrent l’Iran en 1945. Le 4 février 1949, le Chah fit l’objet d’une tentative d’assassinat à l’université de Téhéran. Les gardes du corps ont tué l’auteur. Ils ont rouvé saa carte de presse d’un quotidien aux tendances religieuses, intitulé « Parchamé Islam » (La bannière de l’Islam). Dès lors, les religieux et le parti Tudeh, censé être antiroyaliste, furent accusés. En conséquence, l’ayatollah Kashani,[3] opposant à la Grande Bretagne et activiste depuis les événements de septembre 1941[4], est expulsé vers le Liban. Le parti Tudeh dont les partisans furent arrêtés et emprisonnés est interdit.
La réforme royale se commence. Chah voulait modifier la Constitution. Il réintroduit le Sénat dans les faits et se fait attribuer le droit de dissoudre le Parlement et le Sénat. Celui-ci était une assemblée qui existait dans la Constitution de 1906 (art. 43), mais qui n’avait jamais été convoquée jusqu’alors sous la pression des premiers constitutionnalistes.
Ainsi, le Sénat pouvait suspendre les lois du Parlement selon l’article 48 de la Constitution, révisée en 1949. En fait, le roi pouvait nommer la moitié des membres. Mais les membres du Parlement auraient dû être élus et leur mandat de 2 ans fut porté à la suite de la révision de 1949 à 4 ans.
Un assassinat lui ouvre le chemin pour porter des changements politiques. Les religieux bannis de la scène, le roi a installé le Sénat. Il allait nommer la moitié du Sénat
Entre temps, Ghavam[5], homme politique qui fut Premier ministre à cinq reprises et qui dut démissionner en 1947 à la suite d’un complot du Chah, contesta ces changements. Il avait joué un rôle primordial dans l’affaire de l’Azerbaïdjan[6] et la libération de la totalité de l’Iran de l’armée soviétique. Pour lui, ces changements ne pouvaient que nuire aux intérêts du roi et du peuple.
La nécessité d’une réforme royale via une réforme politique se sentait fort. Donc, le roi avait une décision déterminée. Bien qu’il n’ait appliqué le droit de dissoudre les deux chambres du Parlement (Sénat et Assemblée nationale) qu’après le coup d’Etat anglo-américain du 19 août 1953, il contrôlait de plus en plus les institutions.
Il est intéressant de savoir que c’était l’Assemblée qui, à la suite d’un vote, avait nommé en 1951 Mossadegh[7], lequel nationalisa la compagnie pétrolière détenue par les Britanniques. Après cet évènement, certains opposants au Premier ministre considérèrent la destitution de Mossadegh, comme une décision légale du Chah. Mais en réalité, cette mise à l’écart, contraire à la Constitution, résulta de l’intervention des militaires soutenus par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Aujourd’hui, plusieurs chercheurs s’accordent à dire que ce coup d’Etat n’était qu’une réaction pour contrer Mossadegh qui envisageait de limiter le pouvoir royal dans la Constitution. De même, l’acteur interne du coup d’Etat, le général Zahedi[8] qui remplaça en tant que Premier ministre Mossadegh, n’était pas quelqu’un de docile et maniable. Tous les deux cherchaient, en fait, à avoir plus de pouvoir.
Le droit de dissoudre le parlement, attribué depuis les premières réformes, lui permit de destituer Mossadegh, par un coup d’état. Le nouveau Premier ministre sera contraint de quitter son poste.
Lors de la dix-huitième législature, les différends entre le roi et le Premier ministre s’exacerbèrent et leurs relations se tendirent. Bien qu’il ait bénéficié tout au début du soutien du Parlement, l’instabilité politique due aux intrigues de la Cour finit par faire pencher les députés vers le souverain. Ainsi le Premier ministre fut contraint de démissionner malgré le soutien fragile du Parlement en 1954.
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Le coup d’Etat Anglo-Américain en Iran : la fin d’une époque
Le Chah, en accord avec les Américains, remplaça Zahedi par Hossein Ala[9], un homme politique qui avait déjà été ambassadeur d’Iran en France, aux Etats-Unis et ministre de la Cour. Ce choix résultait de la nouvelle politique du Chah. Il cherchait à changer l’ambiance sociale et à dissiper l’atmosphère du coup d’Etat. A cette période, les militaires ne jouaient pas un grand rôle. C’étaient plutôt les anciens hommes politiques qui revenaient sur la scène de la diplomatie.
Ala fit adhérer l’Iran au Pacte de Bagdad le 24 février 1955 (rebaptisé CenTo en 1958). L’Iran, la Turquie, l’Irak, le Pakistan et le Royaume-Uni deviennent memebre du pacte. Le but était contrer l’emprise de l’U.R.S.S. au Moyen-Orient. Les pays signataires étaient soit colonisés par la Grande-Bretagne, soit favorables à sa politique ont signaient le pacte. . Ce pacte fut contesté par l’U.R.S.S., car il lui apparaissait comme une menace. Pour Jawaharlal Nehru, Premier ministre de l’Inde, l’adhésion du Pakistan au CenTo n’était que la conséquence de la politique coloniale de la Grande Bretagne dans la péninsule indienne.
D’autre part, les Fedâ’iyân-e eslam ou combattants dévoués à l’islam qui s’étaient regroupés autour d’un mollah, Navvâb-e Safavi, avaient tenté en 1946 d’assassiner Kasravi, un jeune intellectuel. Il s’agissait du premier attentat fomenté par ce groupe. Ils se présentèrent alors comme un nouveau groupe d’opposants islamistes combattant pour l’instauration d’un Etat islamique. A partir de ce moment, ce groupe religieux commit une série d’assassinats comme celui d’Hazir, Ministre de la Cour et celui de Razmâra, alors Premier ministre et opposant farouche à la nationalisation du pétrole.
Ce dernier assassinat est présenté par certains historiens de tendance islamiste comme une aide à la mise en application de la nationalisation du pétrole. Ainsi, ils considèrent que les divergences entre Mossadegh et les Fedâ’iyân-e eslam, n’étaient, en fait, qu’une non-compatibilité de Mossadegh avec les activités et les objectifs des fedayin, donc une trahison.
Alors que les Fedâ’iyân-e eslam ne cherchaient que l’instauration d’un Etat islamique dans lequel la Charia s’appliquerait, l’objectif primordial de Mossadegh était la nationalisation du pétrole et donc la fin de l’emprise britannique sur l’industrie du pétrole.
Pour instaurer un Etat islamique, les fedayin se sentaient obligés d’intervenir eux-mêmes, comme cela fut le cas lors de l’attaque d’un bar au nord de l’Iran. Ceci provoqua l’arrestation de Navvâb-e Safavi qui fut emprisonné à Téhéran par ordre du Premier ministre, Mossadegh. Cette incarcération suscita l’indignation des Fedâ’iyân-e eslam qui tentèrent d’assassiner, en vain, le Dr. Fatemi[10] , Ministre des affaires étrangères. Il dut être hospitalisé ce qui l’éloigna des activités politiques.
L’axe suivant des réformes consiste à changer l’ambiance sociale et à dissiper l’atmosphère du coup d’Etat par la nomination de Premiers ministres dociles. L’adhésion de l’Iran au Cento, par l’un d’entre eux, se finit par une série d’assassinats pour lesquels les acteurs religieux seront de nouveau réprimés.
Dans les dernières années du gouvernement de Mossadegh, des Fedâ’iyân-e eslam ont accordé la priorité sur les questions majeures du monde islamique, comme la Palestine. Invisibles sur la scène politique intérieure, l’assassinat de Ala marqua leur retour sur la scène politique intérieure. Et aussis la fin de ce groupearriva par une répression féroce s’abattit sur ses membres qui furent exécutés.
Auparavant, par une répression impitoyable de ses opposants religieux et séculiers, le Chah avait renforcé son pouvoir à l’intérieur du pays. Il remplaça Ala qui allait continuer sa carrière comme ministre de la Cour par Eghbal[11]. Celui-ci appartenait à une nouvelle génération d’hommes politiques nés sous les Pahlavis, alors que Ala appartenait à une vieille génération, présente dans la politique iranienne depuis les Qâdjârs. Eghbal fut le premier à utiliser le titre de « serviteur » dans ses correspondances avec le Chah. Dès lors, l’habitude fut prise et les Premiers ministres qui lui succédèrent utilisèrent les termes de valet ou d’esclave.
Cependant, le souverain, soucieux de l’image démocratique du pays, voulut mettre en place une démocratie contrôlée afin d’intégrer et de faire coopérer ses ex-opposants dans les rouages du pouvoir. Ainsi, il ordonna au Premier ministre et à un ancien homme politique, Alam, de concevoir le projet d’un régime politique bipartite.
Le Premier ministre, Eghbal, devint le leader du parti « Melliun » ou Parti des nationalistes et Alam celui du parti « Mardom » ou Parti du peuple. Le Parti des nationalistes était composé de bureaucrates, alors que la plupart des membres du Parti du peuple étaient d’anciens membres du « Djébheyé Meli » ou Front national, d’ex-partisans de Mossadegh et du parti communiste Tudeh[12].
En 1959, un accord de défense fut signé entre les Etats-Unis, l’Iran, la Turquie et le Pakistan (Cento). Les relations entre l’Iran et l’Union soviétique se tendirent. Les Etats-Unis, nouvelle puissance mondiale, apparurent comme une alternative face aux politiques colonialistes de la Russie et de la Grande-Bretagne.
Ensuite, le souverain, soucieux de l’image démocratique du pays, voulut mettre en place une nouvelle forme de démocratie, contrôlée afin d’intégrer et de faire coopérer ses ex-opposants dans les rouages du pouvoir
Le fait que l’armée soviétique, malgré une première résistance, quitta finalement l’Azerbaïdjan iranien sous la pression de l’ultimatum de l’Américain Harry Truman le prouve. D’autre part, dans l’affaire de la nationalisation du pétrole durant laquelle les relations entre l’Iran et la Grande-Bretagne furent conflictuelles, les Etats-Unis proposèrent leur médiation. La politique américaine changea sous la présidence d’Eisenhower. Ce sont les Etats-Unis qui, coopérant avec la Grande-Bretagne, firent le coup d’Etat du 19 août 1953 pour renverser Mossadegh. A partir de cette date, les Etats-Unis furent omniprésents en Iran et remplacèrent la Grande-Bretagne dans la politique internationale de l’Iran.
Suite à la signature d’un contrat de défense entre l’Iran et les Etats- Unis, les relations entre l’Iran et l’Union soviétique se tendirent. A partir de cette date, les Etats-Unis furent omniprésents en Iran et remplacèrent la Grande-Bretagne dans la politique internationale de l’Iran.
La poursuite de la réforme royale au lendemain du coup d’Etat s’est faite de telle manière que le roi recouvra du pouvoir de façon importante. Ensuite, l’adhésion aux pactes régionaux et internationaux améliora les relations extérieures, en particulier avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Mais le pays souffrait de graves problèmes sociaux et économiques comme la stagnation du niveau de vie et l’inflation qui provoquaient le mécontentement du peuple.
Le Chah, souhaitant faire progresser le pays grâce à différents plans de développement. mais il rencontra de grandes difficultés dans la réalisation de ses projets. Dans ce contexte socio-économique où les Russes n’arrêtaient pas de déstabiliser le pays, le souverain qui voulait occidentaliser l’Iran se tourna de plus en plus vers les Américains et en particulier le FMI afin d’appliquer les plans de réformes économiques et sociales. L’échec de la politique bipartite à l’aube des années 1960 et les élections législatives qui suivirent démontrèrent la nécessité de ces réformes.
Malgré la montée au pouvoir du Chah, le pays souffrait de graves problèmes sociaux. D’autre part, le Chah, souhaitait faire progresser le pays grâce à différents plans de développement. Mais il souhaitait occidentaliser l’Iran et se tourna de plus en plus vers les Américains et en particulier le FMI afin d’appliquer les plans de réformes économiques et sociales. L’échec de la politique bipartite à l’aube des années 1960 et les élections législatives qui suivirent démontrèrent la nécessité d’une nouvelle réforme royale.
La forte compétition électorale entre les deux partis toujours fidèles à la pensée royale suscita de nombreuses oppositions dans le système en vigueur. Ainsi, le Parti du peuple contesta les résultats de l’élection truquée par le Parti des nationalistes dont le leader était Eghbal, alors Premier ministre.
Ce dernier fut forcé par le Chah de quitter son poste, Sharif Emami[13] le remplaça alors qu’il avait été chargé de régler les difficultés survenues lors des élections. Bien qu’Emami les ait finalement annulées, le pays était en effervescence. La crise économique qui sévissait conduisit les enseignants, classe sociale importante touchée par l’inflation, à manifester. La mort d’un enseignant lors d’une manifestation provoqua la grève et la contestation des enseignants et finalement la démission du cabinet de Sharif Emami.
Amini [14] dont la personnalité comparée à celles de Mossadegh et de Ghavam, était bien différente, remplaça Sharif Emami. Ce nouveau Premier ministre n’utilisait jamais le titre de serviteur pour se présenter au roi. Certains considèrent d’ailleurs que son nom avait été suggéré par les Américains.
Pour les nationalistes, la création du Consortium en 1954 allait à l’encontre de la nationalisation du pétrole. Selon eux, elle concédait de nouveau le droit d’exploitation et de vente du pétrole à des sociétés occidentales. Ce qui constituait un retour à la colonisation.
En 1961, Amini devenu Premier ministre, lança une campagne de lutte contre la corruption. Il accusa les deux partis politiques assujettis à l’Etat de corruption et de tricherie. Il gagna ainsi la sympathie de la population. Les débuts de son gouvernement coïncidèrent avec un événement important pour la société iranienne très religieuse. L’ayatollah Boroujerdi[15], le dernier marja’[16] le plus populaire des chiites, était décédé un mois plus tôt.
Ce dernier s’était bien gardé de se mêler des affaires politiques. Mais à la fin de sa vie, il avait pris position contre certaines décisions du gouvernement Amini comme la réforme agraire et celle concernant la liberté des bahaïs[17]. C’est ainsi qu’il était devenu un opposant au Chah.
Le rôle primordial de l’ayatollah Boroujerdi dans la société iranienne et son opposition aux décisions du Shah firent que les religieux se rangèrent derrière lui et lui restèrent fidèles même après sa mort, alors que le Premier ministre, Amini, cherchait à s’attirer le soutien du peuple. La critique du passé et la déclaration de guerre contre la corruption étaient les deux grandes lignes de son premier discours radiodiffusé. C’est pourquoi il se rendit à Qom, le centre de la théocratie chiite, avec pour objectif de rassurer le clergé et d’obtenir son soutien.
En 1961, Amini, le théoricien du premier plan du développement et dont la création du Consortium en 1954 par lui était considérée par les nationalistes comme une décision allant à l’encontre de la nationalisation du pétrole politique, est devenue Premier ministre. L’entente fragile entre lui et le roi n’a pas duré longtemps.
Selon l’accord politique passé entre le roi et le Premier ministre Amini, l’Assemblée nationale et le Sénat furent dissous par un décret. Ainsi le roi présenta le gouvernement Amini comme un gouvernement puissant et réformiste qui ne devait pas être entravé par des contraintes politiques ou sociales. Ensuite, remettant en question la loi électorale, il considéra les élections illégales. Il est intéressant de noter que ces décisions favorables à la monarchie étaient sans cesse contestées par les groupes démocrates et modernistes. D’autre part, le roi cherchait d’avoir un discours moderne et démocratique pour éliminer ses opposants traditionnels. Cependant, les contestations étaient toujours d’actualité.
La Constitution de 1906 accordait au roi le droit de nommer et de destituer le Premier ministre, de proposer des lois qui, pour être appliquées, devaient être approuvées par l’Assemblé nationale. Si tel n’était pas le cas, le roi en assumait la responsabilité. Bien que non codifiée dans la Constitution, la dissolution du Parlement se pratiquait, avantage qui permit à Amini de se débarrasser d’une opposition parlementaire forte mais qui, ultérieurement, permettrait au roi de remplacer facilement le Premier ministre, sensé non maniable, par un autre.
Au lendemain de cette dissolution, le Premier ministre emprisonna un certain nombre d’hommes politiques, y compris des officiers supérieurs de l’armée, en particulier ceux qui avaient joué un rôle dans le coup d’Etat de 1953. Le premier programme, sensé trop lourd à mettre en œuvre et du coup irréalisable fut abandonné. Arsanjâni, jeune ex-journaliste, fut nommé Ministre de l’agriculture en 1962. Ill avait pour mission de modifier le projet afin de lancer une réforme agraire. Le roi soutenait ce ministre pragmatique dont l’approche s’apparentait à celle de l’ancien Premier ministre Ghavam.
Ce choix s’avéra positif. Arsanjâni modifia en peu de temps le premier programme et la réforme agraire fut mise en œuvre. Elle fut immédiatement contestée par les nationalistes et les propriétaires terriens.
L’opposition de ces deux classes sociales qui étaient les soutiens traditionnels importants du régime monarchique et l’opinion favorable de la classe moyenne à l’encontre du Premier ministre constituèrent les premiers résultats politiques de cette réforme.
Arsanjâni qui le remplaça, modifia en peu de temps le premier programme et la réforme agraire fut mise en œuvre. Elle fut immédiatement contestée par les nationalistes et les propriétaires terriens. L’opposition de ces deux classes sociales qui étaient les soutiens traditionnels importants du régime monarchique et l’opinion favorable de la classe moyenne à l’encontre du Premier ministre constituèrent les premiers résultats politiques de cette réforme.
D’autre part, le roi, monarque autocrate qui se voyait comme seul capable de diriger le peuple pour son bien, trouvait qu’Amini devenait un Premier ministre dont la popularité et l’indépendance le déstabilisaient, comme Mossadegh et Ghavam l’avaient fait. Donc, il provoqua la démission d’Amini et le remplaça par un homme plus proche de lui et surtout maniable : Amir A’lam.
« Le valet du roi », c’est ainsi que celui-ci se fit appeler par le souverain. Devenu Premier ministre le 21 juillet 1962, ce dernier lui enjoignit de poursuivre le programme de réformes. Il rencontra une forte résistance du clergé hostile au décret du 12 janvier 1963. Les désaccords du clergé portaient sur deux autorisations dès lors légales :
Ces mesures contredisaient la loi des « associations des états », conforme à la Constitution de 1906 et au féodalisme. Pour les opposants, c’était le début d’une série de réformes menant à de grands changements.
Le décret entra en vigueur le jour où les Iraniens célébraient le deuil de Fatima, la fille du Prophète. Cela fut perçu comme une provocation et donna lieu à des réactions virulentes contre le régime. Car le régime, non seulement soutenait le décret, mais encore avait autorisé l’installation d’une usine Pepsi Cola. En plus, les Bahaïs, secte religieuse toujours bannie par le clergé, financaient une chaîne de télévision.
Le clergé dans son ensemble, même les grands ayatollahs[18] et les jurisconsultes de Qom et de Téhéran, indépendants ou dépendants[19] de la Cour royale, se réunirent. Les grands ayatollahs résidant dans les autres villes, encouragés par cette entente globale, apportèrent leur soutien. Entre autres, un jeune ayatollah, Seyyed Rouhollah Khomeini, appelé aussi Imam[20] Khomeini, se joignit à eux. Il prônait une réaction radicale.
Les oulémas réclamèrent la modification du décret. La réaction du roi fut rapide : il renvoya le Premier ministre. Khomeini exigea alors sa réhabilitation et lui intima l’ordre de prendre les mesures nécessaires pour annuler le texte. Il prévint le Premier ministre que le peuple et le clergé n’avaient pas été entendus.
Les religieux contestaient deux points : le droit de vote des femmes et le serment des non-musulmans sur leurs livres saints La date d’application du décret promulguant la réforme coïncidait avec le jour du deuil religieux des Iraniens, ce qui provoqua une intervention des Oulémas qui conduisit à son abolition.
Le décret aboli, le gouvernement en informa le clergé toujours inquiet et vigilant après cette décision prise discrètement. Il paraît que l’Etat eut une position ambiguë car les préfets chargés d’avertir le clergé leur rappelèrent les conséquences fâcheuses des contestations survenues dans le pays et surtout celles pouvant les toucher eux-mêmes.
Ainsi, la politique envers les opposants religieux montre que le roi et son Premier ministre étaient déterminés dans la mise en œuvre de la réforme, intitulée par les experts « Révolution du Chah et du Peuple » mais connue plutôt sous le nom de « Révolution blanche ». En janvier 1963, le Chah a donné un discours important au Congrès des coopératives agricoles. Lors de l’anniversaire de la Réforme agraire, Il déclara qu’il voulait recourir au référendum. Chah voulait faire approuver les 6 axes majeurs de la réforme souhaitée.
Mais le Chah ne poursuivait, en fait, qu’un objectif : faire passer ses opposants, en particulier les religieux, pour des adversaires du peuple. Le clergé resta aux aguets à la suite de cette annonce. Hakim[21] malgré ses bonnes relations avec le Chah, s’adressa à Behbahâni[22] par un message télégraphique dans lequel il commentait les résultats du référendum et trouvait indigne de légitimer des lois non religieuses. Le clergé continua à être hostile à la future politique du Shah.
Le thème fondamental des réformes royales était la propriété terrienne. La réforme agraire et l’abolition du régime féodal en constituaient l’essentiel. Le deuxième point concernait la nationalisation des forêts et des pâturages. Les autres axes des réformes étaient successivement :
La réforme allait à l’encontre des intérêts du clergé et des grands propriétaires terriens. Mais les gens de gauche l’approuvaient car c’était une véritable révolution. En faveur du peuple et de plus réalisée sans carnage ni dépendance avec l’U.R.S.S, ils n’ont pas contredit la réforme.
Que le principe de la propriété privée soit bafoué et que les biens publics soient assimilés à des biens nationaux, était deux points majeurs de contestation des religieux pour des raisons plus religieuses que juridiques. La réforme n’était qu’un processus de collectivisation des biens publics sous prétexte de nationalisation. La réforme allait à l’encontre des intérêts du clergé et des grands propriétaires terriens, mais les gens de gauche l’approuvaient car c’était une véritable révolution en faveur du peuple et de plus réalisée sans carnage ni dépendance à l’U.R.S.S.
L’opposition entre le souverain et le clergé s’aggrava, en effet dans son discours, le Shah utilisa des termes injurieux en parlant aux clercs, les qualifiant de « rétrogrades noirs », d’« imbéciles » et de « parasites ». Pour lui, ils étaient pires que les opposants communistes connus sous le nom de « rétrogrades rouges ».
Boycotter le référendum aurait encore accentué l’affrontement entre le Shah et le clergé. Le Shah se rendit finalement à Qom le 24 janvier 1963, soit deux jours avant le référendum. Mais l’accueil qui lui fut réservé fut froid. L’opposition entre le souverain et le clergé s’aggrava. En effet dans son discours, le Chah utilisa des termes injurieux en parlant aux clercs. Il les traita de rétrogrades noirs, d’imbéciles et de parasites. Pour lui, ils étaient pires que les opposants communistes connus sous le nom de « rétrogrades rouges ».
Le scrutin eut lieu le 26 janvier 1963. Finalement par la réforme, approuvée par 5 598 711 voix (femmes et hommes), les femmes purent participer. Car la loi électorale avait été modifiée auparavant. Les opposants contestèrent ces résultats.
En adéquation avec le discours nationaliste et les objectifs des partisans de Mossadegh, la révolution blanche a été contestée par les opposants. Ceux-ci récusaient la légitimité d’un tel régime non démocratique, alors que des élections libres avec un taux élevé de participation de tous les partis politiques avaient eu lieu. Selon les opposants, le Chah poursuivait la modernisation du pays mais, comme son père, sans l’instauration de la démocratie.
Les six points de la Révolution blanche se transformèrent ultérieurement en 19 points :
En fait, toutes ces mesures étaient planifiées et présentées par le gouvernement, elles étaient imposées par le haut sans que les besoins des classes sociales basses aient été pris en compte. La société civile n’avait été à aucun moment consultée. Certaines institutions et organisations issues de la Révolution Blanche comme l’organisation du bien-être et de l’éducation de Farah Pahlavi, la fondation d’Ashraf Pahlavi[23], l’organisation nationale de la transfusion sanguine et bien d’autres étaient quasiment gouvernementales ou même sous le contrôle direct de la famille royale.
En tout cas, dès le début du règne de Reza Chah, les femmes furent visibles dans la société et elles purent participer aux affaires politiques. Reconnues aptes aux postes administratifs, elles eurent accès à l’université. Farrokh- Rou Parsa a été la première femme Ministre de l’éducation nationale. Incarcérée après la Révolution de 1979 en raison de son action au sein du ministère, elle fut exécutée en 1980.
La mise en place des réformes agraires entraîna la modernisation des villages, l’agriculture devint semi-mécanisée et des villageois se trouvèrent contraints d’émigrer vers les grandes villes. Devenus peu à peu des opposants au régime, mécontents économiques et sociaux, ils feront partie des acteurs de la Révolution. En vérité, la Révolution blanche a supprimé les forces intermédiaires entre la monarchie et la société traditionnelle et religieuse.
L’élimination des grands féodaux a eu pour conséquence de mettre le gouvernement en contact direct avec les paysans. De ce fait, la réforme agraire se retourna comme un boomerang vers son lanceur : le Chah.
D’autre part, les agents de l’Etat avaient une attitude servile voulue par le Shah. Ce dernier, en éliminant les féodaux, avait ébranlé sa position ce qui fit disparaître sa légitimité chez le peuple.
Malgré un effort de réflexion, le constat prouve le moins du progrès issus de la réforme agraire dans la majorité des villages. Ainsi, dans le film de Dariush Mehrjoui « Gav : la Vache », ce constat est ce qui valut des ennuis à son réalisateur. Celui-ci, connu dans le monde du cinéma, avait déjà réalisé un film sur Rimbaud, le grand poète français.
Le film a été tourné dans un village. Il ne présentait pas, selon les experts du Ministère de la culture, les acquis de la Révolution blanche. Et même il donnait une impression de vie villageoise noire, de sorte qu’il fut censuré. Le gouvernement a refusé le droit de présenter ce film au festival de Venise mais le film y fut montré sans l’accord du gouvernement.
Khomeini après la Révolution de 1979,a apprécié ce film. Le cadre général du film est le suivant : il met en scène la vie des villageois après la Révolution Blanche. Le héros principal est un villageois, Mash Hassan. Il vit une relation fusionnelle avec sa vache qui constitue son unique richesse. Des voleurs venus de la ville veulent s’en emparer. Lorsque sa vache disparaît, son monde s’écroule, il sombre dans la folie. Ce peut être une allusion à l’aliénation des paysans due à la modernisation et à l’introduction du machinisme. A la fin du film, Mash Hassan meurt entre le village et la ville où il se rend, symbole de la mort des villages due à l’exode rural.
Mais pour le Chah, la Révolution Blanche était le point de départ de changements positifs et importants.
Persuadé de la réussite de sa réforme, le Chah demanda à Albert Lamorisse de réaliser un film à propos des évolutions modernes de l’Iran. Le film de Lamorisse , intitulé « Le vent des amoureux » avait été nommé à l’Oscar du meilleur film documentaire. Cette demande ne put aboutir. Car il perdit la vie dans un accident d’hélicoptère à la fin du tournage du film cité au lac de Karaj en Iran.
L’élimination des grands féodaux eut pour conséquence de mettre le gouvernement en contact direct avec les paysans. De ce fait, la réforme agraire se retourna comme un boomerang vers son lanceur : le Chah. Mais pour lui, la Révolution Blanche était le point de départ de changements positifs et importants.
Le clergé ne se donnait plus la peine de légitimer le statut du roi. Il abandonna l’habitude de présenter le roi comme l’ombre de Dieu. En effet il n’assumait plus sa mission d’être le bras fort de la religion. Le régime a violemment réprimé less manifestations du 5 juin 1963 contre l’arrestation de l’ayatollah Khomeini.
En conséquence, les religieux devinrent l’ennemi numéro un de la monarchie. Donc, celle-ci allait perdre les partisans qui lui restaient dans les événements à venir. Quand il y eut des manifestations dans les grandes villes comme Qom, Tabriz et Yazd, elle restait seule. L’incendie du cinéma Rex à Abadan et la répression de la manifestation du 8 septembre 1978 précipitèrent l’effondrement du régime Pahlavi. Même le gouvernement de la réconciliation nationale de Jafar Sharif Emami, fut incapable de changer le destin de l’Iran. Sachant que le but était d’instaurer la paix entre la monarchie et le clergé
L’héritage de la Révolution blanche
Malgré les critiques contre la Révolution blanche, celle-ci resta un héritage pour l’alternative au régime Pahlavi : la République islamique. Cette dernière maintint le droit de vote pour les femmes. De plus, les réformes agraires et la nationalisation des mines et des usines furent effectuées par le gouvernement de gauche de Mir Hossein Moussavi[24]. Ces politiques furent mises en place alors que le régime féodal n’existait plus. La République islamique put mener à bien ces réformes grâce au soutien d’un peuple qui avait mis fin à la monarchie Pahlavi. Cependant, quelques politiques rencontrèrent la désapprobation de certains membres du clergé de Qom. Mais le processus d’évolution de la société iranienne est irréversible.
[1] Mohammad Reza (deuxième roi de la dynastie Pahlavi)
[2] Hamid Mirza, fils de Mohammad Hassan Mirza Qâdjâr (frère et héritier du trône d’Ahmad Shah Qâdjâr)
[3] Abou al-Qassem Moustafavi Kachani, ayatollah iranien, chef spirituel du groupe islamiste Fedâ’iyân-e eslam dans les années 1950, né en 1882 et mort en 1962
[4] L’occupation de l’Iran par les Alliés
[5] Connu sous le nom de Ghavam of-Saltaneh, il a participé à la Révolution constitutionnaliste de 1906
[6] L’occupation de l’Azerbaïdjan iranien par l’Union soviétique à la recherche d’une voie d’acheminement des armes et du ravitaillement à destination du front de l’Est en 1941
[7] En 1953, il devient Premier ministre d’Iran est le leader de la nationalisation du pétrole. Son gouvernement est renversé par un coup d’État anglo-américain.
[8] Il a remplacé Mossadegh après le coup d’Etat de 1953.
[9] Premier ministre en 1951, remplacé par Mossadegh devenu Premier ministre de 1955 à 1957.
[10] Ministre des affaires étrangères sous Mossadegh. Il a été emprisonné après le coup d’Etat et exécuté tout de suite après.
[11] Premier ministre en 1957 et la même année, chef de la Société nationale des pétroles iraniens
[12] Parti politique communiste en Iran dans les années 1950
[13] Premier ministre sous le Shah en 1960 et en 1978, peu avant la Révolution de 1979
[14] Petit-fils de Mozaffar al Din Shah Qâdjâr (roi qui a signé la loi constitutionnelle) et neveu d’Ahmad Ghavam (vizir et Premier ministre après la Révolution constitutionnelle qui a écrit l’ordre de la Constitution), mari de la fille de Vosough al Dowleh. Amini avait de l’expérience en tant que ministre et ambassadeur, sa dernière mission fut celle d’ambassadeur aux Etats-Unis
[15] Seyyed Hossein Tabatabai Borujerdi appartenait au haut-clergé chiite iranien
[16] Grand ayatollah possédant un haut niveau de connaissances juridico-islamiques auquel se réfèrent les disciples pour interpréter les textes islamiques afin de les appliquer dans la vie quotidienne sous la forme de fatwas. Un marja’ est un grand ayatollah populaire, juriste à la tête d’une des grandes écoles juridiques musulmanes.
[17]Secte dérivée du chiisme duodécimain. Le fondateur était un Persan, Seyed Ali Mohammad Chirāzi (Bâb) fusillé en 1844 sous la pression du clergé chiite. Son successeur, Hossein Ali Baha, donna son nom à ses adeptes les Bahaïs. Baha en arabe veut dire « Gloire de Dieu ». Ce titre constitue un blasphème pour le clergé chiite.
[18] Les marja’ et les mujtahids : ce sont les docteurs de l’Islam (les jurisconsultes islamiques)
[19] Comme Seyed Mohammad Behbahâni et Seyed Ahmad Khansâri
[20] Titre donné aux douze dirigeants du chiisme, tous descendants de Mahomet via Fatima, la fille du prophète et Ali, son époux.
[21] Mohsen Hakim, l’un des grands ayatollahs de l’époque résidant en Irak
[22] Seyed Mohamad Behbahâni
[23] Sœur jumelle de Mohammad Reza, Shah d’Iran
[24] Premier ministre entre 1980-1988 en Iran