Le persan ou fârsi est la langue parlée par des Iraniens. Souvent, parler la même langue est considéré comme l’élément primordial de l’identité nationale d’une communauté. Pour le persan, on ne peut faire correspondre totalement langue et nation. Les non iraniens ne sont pas forcément ceux qui ne pratiquent pas le persan . En effet, l’étendue de la culture persane dépasse les frontières politiques et géographiques de l’Iran actuel.
Donc, parler persan n’est pas un élément intrinsèque de l’identité perse. D’où avoir la nationalité iranienne ne prouve pas qu’on parle persan. Malgré tout, le persan a été un élément important dans la renaissance de l’identité nationale des Perses.
Une évolution continuelle, de l’Antiquité à nos jours a affecté la grammaire et le vocabulaire du persan. Ainsi, on a vu l’apparition de nouveaux accents et dialectes. Malgré cette évolution le persan a bien gardé son authenticité. Hors des changements intrinsèques, la superstructure linguistique du persan (le vocabulaire) a été modifiée suite aux invasions de peuples conquérants tels que les Grecs, les Arabes et les Turcs. Ces diverses conquêtes eurent des effets secondaires sur l’identité linguistique et sur l’identité nationale des Perses .
Entre autres, la conquête de l’Iran par les Arabo-Musulmans en 651 joue un rôle déterminent. Au lendemain, les Arabo-Musulmans ont mise en place une nouvelle politique administrative et institutionnelle. Il en résulta de nombreux changements dans la langue.
Après la mort du dernier roi sassanide [2] (651 ap. J. C.), le calife omeyyade [3] mit en œuvre une politique d’immigration des Arabes vers l’Iran en 671. Tout de suite, les gouverneurs arabes dominèrent les régions occidentales, centrales et australes du pays. La langue pahlavi utilisée sous les Sassanides est abandonnée au profit de la langue des conquérants, l’arabe qui devient la langue politique, religieuse et littéraire de l’Iran.Au lendemain de l’invasion arabe et de la chute de l’empire sassanide, les clans devinrent de plus en plus puissants. Un régime féodal remplaça un Etat centralisé.
L’Iran, conquis par les Arabes, va connaître tout de suite des évolutions historiques et sociales. Le pays entre alors dans une nouvelle ère où l’identité politique est séparée de celle des conquérants. Ainsi le persan, pratiqué autrefois en tant que langue politique et littéraire sera un moyen pour retrouver l’identité linguistique. Ceci prouve que le persan était toujours considéré comme un élément majeur pour la conquête de l’identité dans la société iranienne.
L’Iran, conquis par les Arabes entre dans une nouvelle ère où l’identité politique est séparée de celle des conquérants. Ainsi le persan, pratiqué en tant que langue politique et littéraire sera un moyen pour retrouver l’identité linguistique.
Ainsi, certaines familles, nommées par le calife, installées à Damas ou plus tard à Bagdad, gouvernaient leur région. Elles profitaient d’une certaine autonomie. Le gouverneur local devait percevoir l’impôt et le djezieh[1], signes de la soumission politique et religieuse au calife. Dans ce contexte, renforcer l’identité tributaire allait à l’encontre de la formation d’une identité linguistique.
Toutefois, le persan réussit à se développer dans certaines régions comme le Khorasan. Cette région se situait géographiquement loin du califat. Les gouverneurs, bien que nommés par le calife, avaient une origine iranienne. Le nationalisme iranien n’avait pas disparu et la suprématie des Arabes était contestée. De plus, en Transoxiane et dans toutes les régions du nord-est de l’Iran, le persan, grâce à une situation politique et sociale favorable, remplaça la langue sogdiane qui fut abandonnée. Le persan fut ainsi sauvé de l’anéantissement.
En outre, l’instauration de gouvernements semi-indépendants ou indépendants, allait donner naissance aux idées nationalistes. Elles sont résultant de la résistance des Iraniens. Cela préparait le terrain à la renaissance du persan et à la rédaction de livres en vers et en prose.Finalement la rédaction du Livre des rois de Ferdowsi se termina à l’épanouissement du persan. Le persan était ainsi sauvé de la disparition.
Ensuite, la quête de l’identité religieuse et le retour aux valeurs du bien et du mal ont favorisé la naissance de l’identité nationale et in fine de la conscience nationale. En fait, à la suite de la renaissance du persan, l’identité religieuse et mystique naît. D’où le soufisme va jouer un rôle primordial dans l’introduction du chiisme dans la société iranienne.
L’avènement des Safavides et la mise en avant de l’identité nationale par ces derniers, en est un exemple concret. Il est utile de préciser qu’on parle dès lors de l’empire perse. A l’époque, la société safavide et ses membres étaient conscients de faire émerger l’identité iranienne. Ceci montre que la langue est un élément de la formation de l’identité nationale, laquelle va dans le sens des intérêts nationaux.
Bien que le Livre des rois de Ferdowsi ait été la première œuvre rédigée en persan (et la plus importante aussi), ce n’est pas la seule preuve de la renaissance de l’identité nationale des Iraniens. Sans oublier son importance linguistique, il s’agit d’une œuvre littéraire qui raconte l’histoire politique de l’Iran. Des éléments identifiants tels que la race, la famille et le territoire y sont évoqués très clairement, mais l’élément le plus important est la notion linguistique de l’identité nationale qui comprend la culture, les rites religieux etc. Donc, en Iran, la renaissance de l’identité nationale s’est faite via la renaissance linguistique. Le persan fut ainsi sauvé de l’anéantissement.
Donc, en Iran, la renaissance de l’identité nationale s’est faite via la renaissance linguistique. Elle se fonde sur l’appartenance à un territoire, or l’identité clanique était forte. L’émergence de pensées nationalistes et la vie politique résultant de l’indépendance des Tahirides (820-872) et des Saffarides (861-1003) préparèrent le terrain à l’avènement du persan.
Dans les premières années du IXe siècle, l’indépendance des Tahirides et la séparation du Khorasan du califat abbasside, mirent le persan à l’abri de l’influence de l’arabe. Mais l’arabe conservait toujours sa position dominante dans les autres régions.
Car c’était la langue officielle du califat des Abbassides. Toutes les correspondances administratives, scientifiques, diplomatiques s’effectuaient dans cette langue. D’autres éléments renforçaient la priorité de l’arabe face au persan. D’une part, les Tahirides étaient soumis religieusement aux califes abbassides. D’autre part, le Coran est rédigé en arabe car il a été révélé au Prophète Mahomet en arabe.
L’avènement au pouvoir des Saffarides (861-1003) du Sistan[4] en la personne de Ya’kûb [5] mit fin aux Tahirides. Ces derniers, indépendants politiquement, reconnaissaient le calife abbasside comme le successeur légitime du Prophète. Mais Ya’kûb, le fondateur des Saffarides, dirigeait des milices populaires appelées Ayarân.[6] Au contraire des Tahirides, Ya’kûb n’a jamais été soumis aux califes.
Statut de Ya’ghoub Safaride, Zabol, Sistan, Iran. Avec lui, le persan devient langue officielle orale et écrite à sa cour.
Ya’kûb, le fondateur des Saffarides n’a jamais été soumis aux califes. Face au calife, il ne lui obéissait ni spirituellement ni politiquement et même il se présentait comme son ennemi juré. Ainsi l’identité iranienne fut conservée grâce à lui. En fait, selon une anecdote tous les poètes de cour se sentirent alors obligés de composer des poèmes en persan. A partir de là, le persan fut utilisé comme langue officielle orale et écrite à sa cour.
Les principes de son règne correspondaient à l’approche héroïque et chevaleresque. On le trouve dans la culture perse ainsi que dans la pensée iranienne. Face au calife, il ne lui obéissait ni spirituellement ni politiquement. Au contraire, il se présentait comme son ennemi juré. Ainsi l’identité iranienne fut conservée grâce à lui. Ses conquêtes dans une grande partie de l’Iran dominé autrefois par le calife ou ses représentants s’y ajoutent. Il libéra des régions comme le Khorasan, le Sistan, Kerman, le Fars, Ispahan, Rey de la tutelle califale.
Ya’kûb connaissait-il le persan ? Nous n’en savons rien, cependant une anecdote nous donne quelques informations. Après la conquête de Harat, certains poètes faisant l’éloge de Ya’kûb, lui offrirent un poème en arabe. « Pourquoi parlent-ils une langue inconnue de moi ? » dit-il à son secrétaire[7]. En fait, selon cette anecdote tous les poètes de cour se sentirent alors obligés de composer des poèmes en persan. A partir de là, le persan fut utilisé comme langue officielle orale et écrite à sa cour. C’était en 867. Bien que le secrétaire de Ya’kûb ait essayé ensuite d’encourager Gheisi[8] à composer ses poèmes en persan, selon certains historiens, le secrétaire lui-même a été, en fait, le premier poète en langue persane.
Ainsi le persan reconnu comme la langue officielle depuis 867 sous les Saffarides le restera sous les Samanides (819-1005) d’origine iranienne. Ces derniers ont conquis en 901 le Grand Khorasan et remplacé les Saffarides. Ce fut l’âge d’or du persan.
Grâce à la politique des Samanides qui a fait du persan la langue officielle et littéraire de l’époque, nous assistons à l’émergence d’un grand nombre de poètes comme Ferdowsi, Rudaki, Balkhi, Khayyâm, Sa’di et finalement Hafez. Aujourd’hui encore, on peut voir des vers de poèmes rédigés en persan sur les fresques murales du palais Topkapi à Istanbul où certains empereurs turcs, comme Soleiman Ier récitaient les poèmes en persan.
La rédaction d’œuvres du genre du Livre des rois à l’époque préislamique comme le Khoday Namak [9], en prose ou en vers, constitue les premières tentatives littéraires de renaissance du persan. En 950, le haut commandant[10] militaire du Khorasan (actuellement région du nord-est de l’Iran) demanda à un poète, Abou Mansour[11], de collecter l’histoire de la vie des rois sassanides.
En prenant comme référence ce qui lui était parvenu par oral et par écrit, ce dernier se mit à écrire une œuvre intitulée Le livre des rois. Ce Livre des rois de Mansour sera l’axe primordial d’autres livres des rois écrits en prose ultérieurement. Rédigé entre 950 et 956, il constitue la version initiale de celui de Ferdowsi en vers. Ferdowsi est le grand poète national d’Iran dont l’œuvre Shâh-Nâme, est traduite en des dizaines de langues. En fait, Ferdowsi accomplit l’œuvre inachevée d’un autre poète peu connu, Tousi, mort en 975 ou 976. Celui-ci s’était lancé dans la rédaction d’une telle œuvre commandée par un prince samanide[12].
Il n’est pas surprenant que l’on considère Ferdowsi et Homère comme les grands poètes épiques, supérieurs à Boccace, auteur du Décaméron et à Dante de La Divine Comédie. Victor Hugo en tant qu’auteur de poèmes est considéré comme le Ferdowsi de la littérature française du 19ème siècle.
Shâh-Nâme est l’une des œuvres grandioses de la littérature persane. Ferdowsi est l’un des quatre grands écrivains de la littérature mondiale que sont : Ferdowsi, Shakespeare, Hugo et Homère. Il n’est pas surprenant que l’on considère Ferdowsi et Homère comme les grands poètes épiques, supérieurs à Boccace, auteur du Décaméron et à Dante de La Divine Comédie. Victor Hugo en tant qu’auteur de poèmes est considéré comme le Ferdowsi de la littérature française du 19ème siècle.
Ainsi, l’œuvre de Ferdowsi constitue l’élément principal du renouvellement et du développement du persan, surtout en Asie. Avec Ferdowsi, l’histoire, la culture, l’identité et la langue nationale des Iraniens, le persan, sont sauvés du déclin définitivement. Ici, nous voulons mentionner la pénétration culturelle forte de l’Iran dans les régions les plus lointaines d’Asie via le persan.
Aujourd’hui, il existe une communauté tadjike en Chine. Bien que les Tadjiks soient considérés comme des Chinois par l’Etat chinois, leur origine iranienne est reconnue. Ils habitent au Xinjiang, région autonome ouïgoure. En reprenant l’histoire d’Arash, le héros légendaire du livre de Ferdowsi, les habitants de cette région pensent que c’est là que la flèche d’Arash est parvenue afin de désigner la frontière entre l’Iran et Turan, le royaume légendaire des opposants à l’Iran.
Sous les Safavides, le persan est répandu dans le monde entier. Le persan et le soufisme, deux éléments forts, sont consubstantiels à l’identité iranienne. Le persan est le moyen pour exprimer les pensées soufies et mystiques et le soufisme est le vecteur intellectuel, religieux et politique du chiisme. Donc, le persan, langue de culture qui s’est implantée dans le monde entier et reconnue comme telle par de grands écrivains, joua un rôle primordial dans le développement de la culture islamique.
Désormais, le persan est répandu dans le monde entier. Sous les Safavides, le persan et le soufisme, deux éléments forts, sont consubstantiels à l’identité iranienne. Le persan est le moyen pour exprimer les pensées soufies et mystiques et le soufisme est le vecteur intellectuel, religieux et politique du chiisme. Ainsi le persan, devenu la langue du soufisme, a fait entrer le chiisme via le soufisme dans l’identité iranienne.
Cela résulte du point de vue commun aux soufis et aux chiites concernant la personnalité d’Ali. Celui-ci est le premier imam des chiites et le guide spirituel des soufis. Le sunnisme connait là manifestement une crise. La légitimité de l’identité nationale iranienne a sa source en elle-même et non dans le califat sunnite, installé toujours à Bagdad.
Ici, on peut évoquer un événement similaire en Occident concernant la naissance de l’anglicanisme sous le règne d’Henri VIII, roi d’Angleterre (1509-1547). Avec l’Acte de suprématie de 1534, l’Angleterre est entrée dans une nouvelle ère. Elle rompit avec le pape et l’Eglise catholique. On peut constater que la phase de constitution et de renforcement de l’identité nationale est un phénomène endogène. Ensuite le pays peut se tourner vers l’extérieur.
Donc, le persan, implantée dans le monde entier et reconnue comme telle par de grands écrivains, joua un rôle primordial dans le développement de la culture islamique.
Dans plusieurs études historiques, des chercheurs se sont posé la question suivante : alors que les Bouyides (932-1055) précèdent les Safavides (1501-1722), pourquoi le chiisme ne s’est-il implanté qu’après les Safavides ? Voici la réponse :
Le persan était utilisé dans d’autres pays, mais dans certains, sa pénétration est plus visible. L’Inde en est un bon exemple. Avant la colonisation par les Anglais et la Compagnie britannique des Indes orientales, le persan était la langue officielle sous les Gourkanis, descendants des Timurides (1369-1507). Si la colonisation de l’Inde par les Anglais, la partition et la création du Pakistan n’étaient pas survenues il y a deux siècles, la langue de certaines parties de l’Inde serait toujours le persan. Dans la langue ourdoue, parlée dans le nord de l’Inde et au Pakistan, nous voyons pas mal de mots persans.
La richesse de la langue persane est telle qu’en 1872, dans un congrès de linguistique à Berlin, les langues grecque, persane, latine et sanskrite ont été choisies comme langues classiques du monde. De plus, le persan est parmi les trois premières langues du point de vue du nombre et de la diversité des proverbes et il fait partie des langues contenant le plus de vocabulaire et de noms propres.
Le persan était utilisé dans d’autres pays, mais dans certains, sa pénétration est plus visible. L’Inde en est un bon exemple. Dans la langue ourdoue, parlée dans le nord de l’Inde et au Pakistan, nous voyons pas mal de mots persans.
Une comparaison intéressante nous montre la richesse du persan et sa permanence dans le temps. L’accès à la compréhension des oeuvres en anglais de Shakespeare, rédigées aux XVIe et XVIIe siècles nécessite d’avoir recours à un dictionnaire. Malgré cela, il n’est pas garanti de ne pas avoir de difficultés de compréhension, alors que la lecture des poèmes de Saadi, même aujourd’hui, se fait facilement.
[1] Impôt payé par les non-musulmans (les juifs et les chrétiens) afin que le gouverneur musulman leur assure la sécurité. Certains sont exemptés comme les enfants et les personnes âgées.
[2] Yazdgard III
[3] Ziyad ibn Abihi, représentant du calife Muʿawiya à l’est de l’empire islamique entre 635-673
[4] Région située au sud-est de l’Iran
[5] Ya`qûb ben Layth as-Saffâr : saffâr veut dire chaudronnier
[6] Dans la chevalerie orientale : groupe militaire dont l’objectif était d’aider les pauvres et les familles vulnérables. Il luttait contre les maux de la société sans être soumis forcément aux structures dominantes comme le gouverneur et la police
[7] Mohammad Ibn Vassif
[8] Hanzaleh Bad Gheisi
[9] Les récits historiques et épiques des périodes archaïques où la vie et les événements majeurs des règnes des rois sassanides sont rédigés sous la forme d’épopée. Le texte d’origine étant en pahlavi (le moyen persan) n’existait plus au début de la période islamique, de sorte que plusieurs écrivains musulmans se sont référés aux traductions en arabe.
[10] Mansour Abd al Razzagh
[11] Abou Mansour al Moameri
[12] Amir Nooh Ibn Mansour
[13] Azad o-dowleh ou `Adhud ad-Dawla Fannâ Khusraw , émir bouyide(949-983)
Titulaire de master en histoire d'Iran
Titulaire d'un master de français