Marielouise Stoffel : pourquoi l’Iran? Décembre 2009
Au commencement, il y a eu un livre… les Contes des Mille et une Nuits. Un livre revisité pour les enfants et dont le message me parvenait en version, une seconde fois expurgée, par la lecture d’une grand-mère très soucieuse de brider une imagination enfantine dont elle craignait les excès.
Et puis sont venus les livres d’histoire qui parlaient d’un empire perse et de son histoire fabuleuse. Mais c’était une histoire qu’il fallait apprendre et dont il fallait retenir les dates, sans aucune image. Elle était expliquée par des enseignants qui incitaient à l’acquisition de connaissances surtout en vue de notes scolaires suffisantes, ou brillantes, selon notre choix ou nos capacités.
Le rêve, ou tout au moins ce que nous pensions pouvoir être un rêve réalisé, nous a été apporté. Un peu plus tard, par les médias qui nous racontaient une histoire d’empire en voie de résurrection.. Il y avait des photos. De trésors fabuleux, de gens beaux qui semblaient heureux et puissants. Mais qui souffraient aussi car l’amour n’apporte pas toujours le bonheur. Nous avons cru, dans notre adolescence, à ces messages qui parlaient aussi de modernité et de progrès et nous ignorions, volontairement ou non, tout ce que ces dorures pouvaient cacher. Et nous l’avons ignoré, ou voulu ignorer, pendant longtemps.
Et puis il y a eu des études supérieures qui nous ont fait approfondir l’histoire du Moyen-Orient que l’on disait aussi Proche-Orient. Des études sérieuses : la diplomatie, les intérêts, les résistances, les oppositions et les guerres. L’Orient proche qui nous paraissait souvent si lointain, mais attirant et mystérieux. Nous décryptions des stratégies, des intérêts convergents et divergents. Mais nous savions bien peu sur les populations et leurs aspirations profondes, sur ce qui animait leurs cœurs et leurs esprits.
Et un jour il y a eu Maurice Béjart qui nous a fait connaître, puisqu’il les a mis à notre portée, en dehors des murs des musées, tous les trésors d’un art persan que nous n’avions pas su découvrir tant nous étions tournés vers l’Occident. Oui, Maurice Béjart ! Merci à lui qui nous a fait découvrir Saadi et son Jardin des Roses. Merci à lui, de nous avoir dit dans son « L’autre chant de la danse » son cheminement vers l’islam chiite dans lequel il s’était engagé grâce à Nur Ali Elahi. Un cheminement qui ne lui a pas fait abandonner ni les enseignements de son enfance catholique, ni sa découverte du bouddhisme. Un choix spirituel ouvert à chacun de nous !
Et puis tout nous a semblé basculer vers un monde que nous ne reconnaissions pas. Et des personnes arrivaient chez nous que nous avons accueillies et sont devenues nos amis, nos proches. Elles nous parlaient de leur pays, de leur désarroi, mais parfois , les plus jeunes, de leurs espoirs aussi, indéfectibles.. Pendant ce même temps, d’autres amis d’ici partaient, désireux de découvrir un pays que nous savions meurtri et ils revenaient, tous, sans aucune exception, émerveillés, éblouis, mais surtout émus par la population avec laquelle ils avaient établi des contacts.
Alors au début 2009, la décision a été prise, de faire ce voyage tant de fois reporté. Reporté parce qu’il restait la crainte d’être limité dans les mouvements et les découvertes. Parce que la crainte était vive de ne pas pouvoir voir toutes les images et les connaissances acquises s’animer et devenir réelles. Celles des vestiges certes, mais aussi la rencontre avec les êtres humains, non pas tels que certains nous les décrivaient, mais tels qu’ils étaient.
Et octobre 2009 est arrivé, Un vol long courrier et le voile pour respecter la règle et mériter le droit d’entrée, Et à la descente d’avion, un, deux, quelques fonctionnaires … des archétypes, tout simplement et rien de plus…
Et puis il y a eu Reza, que nous ne connaissions pas encore et qui ne nous connaissait pas, mais qui nous a accueillis avec sa stature impressionnante et son immense sourire malgré la longue attente, et chacun de nous, comme moi, dans son for intérieur, a dû savoir que désormais tout allait bien se passer jusqu’à la dernière minute.
Merci Reza d’avoir été là, de la seconde à la dernière minute. Merci à tes parents et à ta femme et à ta petite, merci à tes professeurs et à tous tes amis, de t’avoir aidé à être ce que tu es . disponible, compétent, chaleureux, vif dans la réplique, fin psychologue et j’en passe… Mais merci, aussi et surtout à toi Reza, d’avoir su nous transmettre et nous inculquer, de manière indélébile. Ton amour immense pour ton pays, qui ne nous quittera plus, quoiqu’il arrive.
Les jours qui ont suivi ont été un enchantement. Aucune indication susceptible d’enrichir notre patrimoine culturel personnel ne nous a été épargnée. Alors parfois, mon cher Reza, on manquait quelque chose. On te posait une question à laquelle tu avais déjà donné la réponse. Avec un sourire, tu la répétais pour la quatrième fois, j’ai bien dit, la quatrième fois.
Et oui, nos cerveaux n’étaient pas toujours à la hauteur du tien et leurs capacités à la mesure de ton savoir. Mais c’est bien ainsi, parce que cela nous a donné envie de revenir, de revoir ce que nous avions peut-être, ou certainement manqué, malgré toi, Reza, et malgré nous.
Un avion nous a, un jour, ramenés dans nos pays. Tristes, nostalgiques, ensorcelés.
Au retour, les amis qui avaient déjà visité l’Iran, attendaient, anxieux, ma réaction. Ils s’illuminaient lorsque ils écoutaient mon enthousiasme inextinguible. Les autres, mes amis iraniens, m’ont embrassée me reconnaissant comme une des leurs.
Les Portugais parlent de « matar saudade », tuer ou apaiser la nostalgie, une nostalgie déchirante. Née au Portugal, qu’ai-je fait ? de la musique, des livres, des livres de cuisine, des photos qui parvenaient des compagnons de voyage … Mais je crois que ce qui m’a été le plus précieux a été la capacité, insoupçonnée, de faire revivre des émotions. Revivre des sensations ressenties au cours du voyage. Et au-delà des émotions visuelles et intellectuelles, fondées dans le passé de la grandeur perse, je vois ça. Il y en a qui se sont ancrées au plus profond de mon âme. Celles qui me sont venues du contact avec la population, des paroles échangées, des multiples regards croisés, des sourires d’amitié et de connivence échangés. J’en ai eu les larmes aux yeux et je les ai encore. Car ce contact là, je ne l’ai eu avec aucune population au monde.
Et puis il y a eu cette douceur de vivre. Je l’ai ressentie dans les jardins persans et l’éblouissement. Et aussi le respect pour ce génie créateur qui depuis des millénaires a permis une vie dans un environnement qui paraissait ingrat, mais qui a été respecté.
Mais, à vrai dire, ce qui m’a paru surtout extraordinaire sont cette chaleur de vie et cette joie de vivre qu’irradient d’une large majorité de la population, envers et contre tout. Cet espoir qui ne doit jamais faillir. Il ne faillira pas. L’espoir pourra certainement un jour apporter à ton peuple, le bonheur de vivre qu’il mérite et auquel il a droit.