Bernard Beyens trouve son voyage en Iran comme les éclaircies dans un ciel nuageux
Contrairement à beaucoup d’occidentaux, je n’avais que peu de préjugés négatifs vis-à-vis de l’Iran. Mon épouse et moi nous sommes inscrits à ce circuit de quinze jours avec beaucoup de curiosité vis-à-vis d’un pays. La culture iranienne nous attirait mais dont la situation contemporaine nous inquiétait tout en nous intriguant.
En particulier, pour des athées comme nous, être confrontés à la vie dans une des seules théocraties de la planète, était une expérience dont nous ne pensions pas sortir indemnes. Enfin, vivre quelque temps dans un monde sans alcool et, pour mon épouse, sans quitter le voile islamique, était également problématique.
Finalement, se faire une opinion personnelle sur la dangerosité politique supposée du pays était à l’ordre du jour.
D’emblée divers éléments nous ont frappés :
Ces aspects positifs sont toutefois contrebalancés par l’aspect visiblement répressif du régime. Les contrôles sont constants, relativement efficaces et semblent finalement assez bien acceptés par la population.
Le nationalisme de la population s’accompagne du sentiment d’être injustement mal aimé et incompris sans bien saisir l’effet traumatisant des excès de la révolution iranienne et des propos outranciers du président Ahmadinejab sur une population occidentale déjà très effrayée par l’islamisme.
En résumé, le pays nous est apparu plus fort, plus moderne et plus uni qu’attendu. Il faut ajouter il nous semblait aussi plus rigide, voire arrogant, qu’espéré.
Sa beauté, la richesse et l’unité de sa culture, nous ont confortés dans l’idée que l’Iran est (avec la Turquie) la force dominante de la région. Les sanctions économiques ont certainement retardé le développement du pays mais n’ont que peu affecté ses capacités de rebond rapide dès leur levée.
Cette force, du moins apparente, a ses revers. Le pays est dominé par une caste cléricale. Elle détient non seulement le pouvoir politique mais aussi une partie importante du pouvoir économique. Si cette domination semble relativement bien acceptée par les milieux populaires, assez peu sensibles aux restrictions à des libertés dont ils n’avaient que peu joui, et auxquels le régime offre certaines possibilités de promotion sociale dans le cadre du cursus de la hiérarchie cléricale ou de l’armée des gardiens de la révolution, elle fait l’objet d’un vif rejet de la classe moyenne et de la majorité de la jeunesse.
L’évolution sociologique très rapide des femmes est impressionnante. Elle montre une rapide urbanisation voire occidentalisation de la société nonobstant l’hostilité du clergé. A plusieurs égards, et pour autant que l’on accepte le parallélisme entre le clergé chiite et feu le parti communiste soviétique, le pays fait penser à l’ancienne URSS finissante: dictature policière, censure, étatisme, prééminence des structures idéologiques sur les structures étatiques, nationalisme voire impérialisme, grande méfiance vis-à-vis de l’étranger.
Toutefois, le régime clérical apparaît déjà et apparaitra plus encore à l’avenir de plus en plus déconnecté de la réalité sociale du pays. Certes, la structure hiérarchisée du clergé chiite permet une certaine évolution de l’interprétation ou de l’application des prescrits religieux mais celle-ci ne peut être que lente et prudente. Ce qui la rend structurellement incapable de répondre aux exigences de la société moderne.
A l’instar de ce qui s’est passé en URSS, je prévois donc un effondrement du régime causé par un pourrissement de l’intérieur mais sans que cet effondrement se traduise par une démocratisation.
Je crains donc que l’évolution naturelle ne conduise l’Iran sur une voie parallèle à celle de la Russie poutinienne: modernisation de la société mais régime autoritaire, conservateur et nationaliste. A cet égard, on suivra avec intérêt l’avenir politique du général Soleymani. S’il remporte des succès décisifs en Irak ferait un candidat à la présidence de la République difficilement récusable par les mollahs et plus puissant qu’eux vu le soutien des gardiens de la révolution dont il bénéficierait.
Le jeu de l’occident me paraît donc clair. Le seul moyen pour le régime de durer est de maintenir sa fermeture. Toutefois cette politique n’est pas viable économiquement et socialement.
Il faut donc au plus tôt mettre fin à l’isolement de l’Iran. L’état de délabrement complet des pays voisins (Irak, Syrie et Afghanistan) dans lesquels l’interventionnisme occidental a montré son échec total, rend d’ailleurs l’intervention iranienne inévitable et indispensable. Un accord sur le nucléaire, qui est une absolue nécessité, sera un pas décisif dans ce sens. D’importants et profitables investissements permettront à l’Iran de repartir vers une croissance rapide. Cette ouverture politique et économique ne profitera qu’à très court terme au régime. Au contraire, elle est la condition nécessaire de son effondrement.
Les atouts de l’Iran sont immenses. On ne peut que regretter d’autant plus les 35 ans perdus depuis 1979. Il faut espérer que de part et d’autre les préjugés et les a priori laissent place à une coopération réaliste et sans illusion.
Bernard Beyens