Résumé :
Khanqah de Cheikh Safi, l’un des chefs soufis iraniens et l’ancêtre des rois safavides se trouve à Ardabil. L’architecture iranienne, l’un des arts iraniens les plus originaux, a des caractéristiques spécifiques la distinguant des autres architectures du monde. Les architectes du Khanqah de Cheikh Safi y utilisaient une foule d’autres arts. Ainsi, l’architecture de l’Iran a transformé l’Iran en un véritable musée de monuments glorieux à travers son vaste territoire. Donc, la richesse de Khanqah de Cheikh Safi nous donne un motif fort à visiter l’Iran.
Chacun de ces monuments, ainsi que ses composantes et sa décoration suit les traditions, les croyances de chaque période. Donc, dans l’architecture du khanqah de Cheikh Safi nous trouvons les rituels de ses habitants, la vie économique du pays. Il nous présente les liens entre la politique et les arts.
Les khanqah, représentatifs de l’architecture persan portent le nom et le souvenir de certains personnages, perpétués à travers l’histoire d’Iran. L’un des exemples le plus original et le plus beau de cette architecture, c’est le khanqah de Cheikh Safi. Il contient un ensemble de bâtiments (du cuvent) et du sanctuaire. Construit, restauré et agrandi au cours des siècles, il voulait répondre aux besoins de chaque époque. Aujourd’hui, le khanqah de Cheikh Safi, nous démontre les alliances entre l’architecture et la religion. Il attire ses visiteurs glorieusement.
Certains croient que le mot soufisme se dérive du mot « suf » signifiant « laine ». Certes, les soufis portaient des robes en laine. Cette tenue simple symbolisait la simplicité et la sagesse islamiques, en réaction contre le mode de vie luxueux des riches. C’est ainsi que le soufisme apparut comme un signe de protestation sociale dès le début du 8e siècle. Les soufis considéraient qu’ils représentaient le véritable islam et la tradition du Prophète. Ils adoraient et louaient Dieu. Leur lieu de rassemblement pour le culte s’appelait « Khanqah : monastère ». Un chef nommé « Vieux » ou « Maître » le dirigeait. L’obéissance totale et inconditionnelle au maître établit le fondement des règles des soufis. Afin de gravir les différentes étapes, ils devaient d’atteindre l’objectif ultime.
Le khanqah de Cheikh Safi, comme les autres, comprenait un lieu de vie, d’éducation, de rassemblement et de culte des derviches et des soufis. Certains de ces khanqahs, d’énormes ensembles, regroupaient toutes les commodités et les équipements utiles comme dans une petite ville. En outre, la construction, la décoration et la restauration de ces khanqahs s’effectuaient généralement par les meilleurs artistes. Il y en avait deux raisons : leur spiritualité et leur sainteté.
Les puissants de chaque époque participaient également à la construction de tels bâtiments. Par conséquent, beaucoup de ces khanqahs sont de véritables chefs-d’œuvre de l’art architectural, tout en remplissant leurs fonctions spirituelles. L’un des khanqahs les plus beaux et les plus extraordinaires d’Iran est le khanqah de Cheikh Safi situé à Ardabil. Nous allons vous faire découvrir son histoire et les beautés qu’il recèle.
Ardabil est une des nombreuses villes représentatives du Soufisme et accueille le khanqah de Cheikh Safi. Mêlant architecture et spiritualité, Ardabil existait déjà à l’âge du bronze et demeure encore aujourd’hui l’une des villes les plus estimées d’Iran.
Ardabil se situe au nord-ouest de l’Iran d’aujourd’hui. Elle est construite dans une petite plaine proche du volcan inactif de Sabalan, montagne toujours enneigée, même en été.
Ardabil a une histoire millénaire. Les recherches archéologiques montrent qu’Ardabil existait déjà à l’âge du bronze[1]. Son nom même est un autre signe de cette longue histoire. Ardabil est un mot iranien que l’on trouve dans la langue avestique. Il se compose du mot « arta » signifiant « saint » et « vil » signifiant « la ville ».
Mais Ardabil n’est pas seulement célèbre pour son histoire. Elle a été, de tout temps, l’une des villes les plus belles et les plus appréciées d’Iran. Les paysages naturels qui l’entourent, le surprenant col d’Heiran, les sources minérales dont l’eau a des vertus curatives poussent depuis des siècles les gens de tout l’Iran à venir dans cette ville.
Mais celui qui a surtout fait connaître Ardabil est un cheikh soufi, fondateur d’une confrérie dont sont issus les Safavides. Ceux-ci ont établissent une dynastie qui a marqué l’histoire de l’Iran. Ce grand cheikh soufi s’appelait Safi al-Din Ardabili.
Cheikh Safi était né dans le village de Kalkhoran près d’Ardabil en 1252. Il perdit son père à l’âge de 6 ans. Adolescent, il se rapprocha du soufisme et il entreprit un voyage à la recherche d’un grand maître. Finalement, il rejoignit Cheikh Zahed Gilani à Gilan. A la mort de ce dernier, Cheikh Safi lui succéda. Peu de temps après, il revint à Ardabil et y fonda une doctrine appelée « La Doctrine safavide ».
Le cheikh Safi jouissait d’une telle notoriété durant ces années qu’il était connu comme le souverain d’Ardabil par les gens. Il avait aussi des disciples venant de tout l’Iran et même d’Asie Mineure à l’ouest et d’Inde à l’est. Le nombre de ses disciples atteignait cent mille personnes à la fin de sa vie.
Cheikh Safi était l’un des cheikhs soufis les plus riches et les plus influents de son époque. Il dépensait toute sa richesse et son influence pour aider les pauvres et les soufis et diminuer l’oppression des masses populaires. Le khanqah de Cheikh Safi à Ardabil était un centre de rassemblement communautaire, un lieu de distribution de nourriture et d’assistance aux pauvres. Ainsi, le khanqah de Cheikh Safi devint un endroit où les demandes du peuple liées à l’oppression du régime étaient regroupées.
Natif de la région d’Ardabil, Cheikh Safi partit en quête d’un maître pour s’initier au Soufisme. Il revient dans sa ville natale pour fonder un monastère qui deviendra par la suite un joyau de l’architecture sacrée en Iran.
En conséquence, le khanqah de Cheikh Safi, étant le centre de gravité de la ville, accueillait ses fidèles et disciples. Cheikh Safi vivait dans ce khanqah où il meurt en 1334 et ces disciples l’ont y inhumé.
Ensuite, au lendemain de son mort, ses enfants l’ont agrandi et plus tard par ses descendants au cours des siècles. Ainsi, le khanqah de Cheikh Safi devient encore plus célèbre. Le khanqah de Cheikh Safi se considérait comme un lieu sacré et un refuge sûr même après sa mort. En effet, le khanqah de Cheikh Safi pouvait être l’une des » petites villes de Dieu « .
Le khanqah de Cheikh Safi se situe dans le centre historique d’Ardabil. Il se compose de monuments construits et agrandis au cours de plus de trois siècles en quatre étapes principales.
Une tour cylindrique, appelée « Haram khane », signifiant « l’ermitage » constitue le sanctuaire central autour duquel L’ensemble des bâtiments ont été construits après. Cheikh Sadr al-Din[2], le fils et le successeur de Cheikh Safi l’a construit pour le tombeau de son père. Le tombeau de Muhyeh al-Din, fils aîné du Cheikh Safi se trouve dans le « Dôme de la Princesse ».
Il mourut quelques années avant son père. Ces deux bâtiments composent le cœur du khanqah de Cheikh Safi. Cheikh Sadr al-Din construisit ultérieurement plusieurs bâtiments de service sur le côté nord. Le plus important est la salle « Dar Al-Hefaz ». C’est une grande salle rectangulaire où avait lieu la lecture générale du Coran. Elle servait aussi de bibliothèque.
La structure du khanqah de Cheikh Safi n’a pas beaucoup changé jusqu’au début du règne de la dynastie safavide[3]. Mais avec l’avènement de la monarchie safavide et la formation de l’empire safavide, les rois ont voulu agrandir et décorer le khanqah en honneur de leurs ancêtres et en particulier de Cheikh Safi.
Cheikh Sadr al-Din, son fils et son successeur fit construire le sanctuaire qui constitue le centre du khanqah. Situé au cœur de la ville d’Ardabil, son architecture témoigne de la présence et de l’influence du Soufisme en Iran.
Le premier monument ajouté pendant cette période a été un sanctuaire avec un petit dôme, jouxtant l’ermitage. Shah Tahmasb[4] y déposa le tombeau de son père Shah Ismaïl I[5], le fondateur de la dynastie safavide. En 1536, le roi Tahmasb acheta un vaste terrain autour du complexe originel. Le bâtiment principal construit sur ces terres nouvellement acquises, s’appelait Jannat Sara. Il s’agissait d’un grand bâtiment octogonal édifié sur le côté oriental de la cour centrale. Shah Tahmasb l’a construit pour être le lieu de son inhumation.
Mais le destin voulut que son corps n’y soit jamais enterré. Car il y a eu le chaos et les rivalités créés après sa mort. Sous son règne, Shah Tahmasb commanda un tapis pour le salon de Dar al-Hefaz. Ce tapis se considère comme un chef-d’œuvre de l’art du tapis en Iran. Dans le monde, on connait ce magnifique tapis sous le nom de « tapis d’Ardabil ». L’une des 50 œuvres d’art les plus populaires au monde, malheureusement, ce tapis n’existe plus dans le khanqah de Cheikh Safi. Il y en a deux exemples : ils sont exposé au Victoria et Albert Museum à Londres.
La troisième période d’expansion du khanqah de Cheikh Safi eut lieu sous le règne de Shah Abbas Le Grand[6]. Ce dernier reconstruisit et restaura l’ancien bâtiment à l’est du khanqah. En effet, le roi avait prévu de faire don d’une collection importante de précieuses poteries chinoises au khanqah. C’est pourquoi il ordonna le réaménagement du bâtiment Les grands artistes y apportèrent une nouvelle décoration intérieure de manière à mettre en valeur ces objets. Cet édifice devint certainement l’une des parties les plus belles et en même temps les plus précieuses. Il s’appelait « Chini Khaneh » ou « la maison des porcelaines ».
En 1611, Shah Abbas donna près de mille cinq cent pièces de porcelaine et de poterie. Chacune portait du sceau du donateur. Chini Khaneh devint le premier musée de l’histoire iranienne. Malheureusement, une grande partie de ces œuvres a été pillée par l’armée tsariste russe pendant les guerres entre l’Iran et la Russie de 1826 à 1828. Elles sont maintenant conservées au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.
Les dons du grand Shah Abbas ne se limitaient pas à de la porcelaine et à des poteries. Il consacra une grande partie de ses biens immobiliers au complexe. D’innombrables objets ayant chacun une grande valeur artistique y sont conservés.
Parmi eux, se trouvent de nombreux manuscrits, comme des chefs-d’œuvre de la calligraphie et de la conception des livres. Il y a aussi une collection d’armes et d’instruments militaires censés les plus beaux exemples de l’art de fer iranien.
La restauration du khanqah de Cheikh Safi, orchestrée sous le règne de Shah Abbas Le Grand va parfaire son architecture et le consacrer dans son rôle artistique. Il devient alors un véritable témoignage du Soufisme en Iran.
En outre, Shah Abbas reconstruisit et décora d’autres parties du khanqah. Il rénova Dar al-Hefaz. Ensuite, il ordonna de développer la partie au sud dénommée Shah Nechine, à côté de la tombe de Cheikh Safi. Sur ses ordres, des décorations d’or et d’argent ont été réalisées pour les portes et les fenêtres. Simultanément, le salon a été décoré de dorures et de peintures. Cette restauration remonterait à 1628 selon les gravures représentant Shah Nechine dans ce salon.
La quatrième étape de l’achèvement du complexe de Cheikh Safi date du règne de Shah Abbas II[7]. Celui-ci a restauré de nombreuses parties du khanqah de Cheikh Safi. Mais les travaux les plus importants concernèrent l’entrée principale du khanqah de Cheikh Safi appelée « Ali Qapu ». Elle a été décorée avec des inscriptions en mosaïque exquises et a été achevée en 1647. Malheureusement, elle fut complètement détruite lors de la restauration de 1942 !
Dès cette époque et jusqu’à aujourd’hui, le khanqah de Cheikh Safi a continuellement été restauré et après sept siècles, il est resté un chef d’œuvre artistique et architectural unique.
La partie, probablement la plus ancienne du khanqah de Cheikh Safi, existait du temps de Cheikh Safi. Un bâtiment carré, comportant un certain nombre de petites niches sur les façades recouvertes de brique. Le plafond est en voûte. Les soufis se retiraient pour se recueillir et méditer seuls dans ce lieu de solitude.
Cette entrée se situe sur le côté oriental du khanqah de Cheikh Safi. Construite en 1627 et elle est décorée avec des inscriptions et des carreaux de faïence.
Cette cour, également connue sous le nom de cour Qandil Khane, est un espace rectangulaire entouré de pierres polies. Au centre se trouve un petit bassin en pierre en forme de polygone à douze côtés symbolisant les douze imams chiites.
Jannat Sara était une vaste véranda avec une grande porte en bois et une fenêtre ajourée. Cet édifice est lié au règne de Shah Tahmasb. Selon des voyageurs européens qui visitèrent le khanqah de Cheikh Safi à la fin du règne des Safavides, Jannat Sara était un espace sans toit. Un dôme de brique a été construit ultérieurement en respectant les règles de construction traditionnelle. Certains le considèrent comme le plus grand dôme du khanqah de Cheikh Safi.
Dar al-Hadith se situe en face de Jannat Sara sur le côté sud de la cour principale. Il s’agit d’une grande véranda au toit voûté avec une grande fenêtre grillagée et de deux petites chambres sur les deux côtés de cette véranda. On peut voir les tombeaux de certains des grands Safavides de part et d’autre du monument.
Cette partie était le lieu de la lecture et de l’interprétation du Coran et la bibliothèque du khanqah de Cheikh Safi. On l’appelait aussi Qandil Khane [le chandelier], car il y avait de grands chandeliers fournissant la lumière.
Ces chandeliers étaient si importants qu’ils furent représentés sur le fameux tapis d’Ardabil, comme si ce tapis était un miroir qui reflétait le plafond. Qandil Khane est une salle rectangulaire avec deux espaces contigus au nord et au sud dont les plafonds sont recouverts par deux semi dômes.
Cheikh Sadr al-Din le fils de Cheikh Safi a construit ce dôme, au-dessus du tombeau de Cheikh Safi, a été construit par son fils. Il est considéré comme l’un des principaux symboles du khanqah de Cheikh Safi. On peut dire que ce dôme est le cœur du khanqah de Cheikh Safi. Le mot « Allah » y est inscrit de façon répétitive. C’est pourquoi il est appelé le dôme d’Allah. De l’extérieur, on peut voir une tour cylindrique en brique. Le dôme est recouvert de carreaux en brique émaillée de couleur turquoise. A la base de la coupole, sur le tambour, sont inscrits des versets du Coran.
L’une des pièces les plus spectaculaires du point de vue de la décoration est Chini Khane. La décoration comporte des sculptures en bois et de khatam kari, c’est à dire de marqueterie fine et minutieuse. Le plafond est décoré de bois et de plâtre, ce qui en fait la plus belle partie du khanqah de Cheikh Safi. Sur le toit, il y avait des espaces d’une hauteur de trois mètres ornés de fleurs et de feuillage et contenant des pièces de porcelaine et de céramique donnés par le roi.
Shahid Gaah se situe à l’est et au nord de Chini Khane. Il s’agit d’un cimetière où ont été enterrés un certain nombre de soldats safavides tués pendant les guerres de l’époque de Cheikh Heydar, le père de Shah Ismaïl I.
Le khanqah de Cheikh Safi se compose de nombreux éléments d’architecture typique de l’Iran et du Soufisme iranien, tel Chele Khane, Jannat Sara, Dar al-Hadith, Qandil Khane ou bien encore Chini Khane. Il est le souvenir de l’histoire d’Ardabil.
Le khanqah de Cheikh Safi est l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture iranienne et des arts décoratifs tels que le carrelage, le plâtre, la calligraphie, etc. Le khanqah de Cheikh Safi a une valeur universelle exceptionnelle qui en fait un chef d’œuvre artistique et architectural unique. C’est pourquoi il a été enregistré sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2010. Lors d’une visite en Iran, n’hésitez pas à visiter ce magnifique complexe, prototype et exemple exceptionnel d’ensemble religieux du 16 ème siècle représentant les principes fondamentaux du soufisme.
[1] L’âge du bronze est une période datant de 3500 à 1200 avant J-C.
[2] Cheikh Sadr al-Din Mussa, fils et successeur de Cheikh Safi al-Din, qui était le chef safavide de 1334 à 1390.
[3] Les Safavides ont gouverné l’Iran de 1501 à 1722.
[4] Le roi Tahmasb I, le deuxième roi des Safavides qui a gouverné l’Iran de 1524 à 1576.
[5] Shah Ismaïl I, le premier roi safavide qui a dirigé l’Iran de 1501 à 1524.
[6] Le Grand Shah Abbas, le cinquième roi des Safavides de 1587 à 1629.
[7] Shah Abbas II, septième roi des Safavides de 1642 à 1666.