Achoura correspond au 10ème jour du mois de Moharam, le premier mois du calendrier hégirien lunaire. Il s’agit de l’une des commémorations religieuses parmi les plus importantes du Chiisme, rendant hommage à Hossein, le troisième Imam.
Chez les Chiites, le Prophète (P) transmit à son gendre et neveu Ali des connaissances ésotériques pour comprendre le sens caché de la Révélation contenue dans le Coran. Devenu ainsi le premier Imam, Ali transmet cet enseignement au second, Hassan, puis au troisième, Hossein, qui sont ses enfants. La chaîne de transmission se poursuit jusqu’au douzième Imam, mystérieusement disparu : c’est que l’on appelle l’ « occultation ». Ce dernier doit revenir lors de la fin des temps pour rétablir la justice et la foi.
Mais cette différence entre Chiites et Sunnites va se transformer en une lutte politique, conduisant à des affrontements très souvent sanglants. L’Achoura est un de ces jours tragiques où le deuil est célébré.
Achoura signifie le 10ème jour du premier mois du calendrier hégirien lunaire (Moharam). Durant ce jour, l’Imam Hossein fut tué par Yazid. Le mois de Moharam est une période de deuil pour la Famille du Prophète et leurs adeptes du chiisme. En Islam, il y a deux branches majeurs : le suniisme et le Chiisme. La tradition recommande d’accomplir un certain nombre d’actes de piété pendant ce mois particulier. Ils veulent ainsi partager le deuil.
Il importe de suspendre toute activité commerciale ou professionnelle pendant cette journée et se consacrer aux cérémonies commémoratives, à l’évocation de la tragédie de Karbalâ, où furent assassinés et tombés en martyrs l’Imam Hossein et ses proches et compagnons. Autrement dit, on peut se consacrer à toutes sortes de manifestations de deuil, comme si on venait de perdre un fils ou un proche parent chéri en ponant des vêtements noirs ou arborer des signes de deuil, et s’abstenir de rire.
Yazid est le fils de Muawiya qui était au début l’un des opposants du Prophète et fut nommé comme le gouverneur de la Syrie sous le 3ème successeur du prophète Mahomet. Yazid a pour grand-père Abou Soufiane qui s’est converti à l’Islam lors de la conquête de la Mecque et par contrainte.
L’Imam Hossein (Sayyid el-Shuhadâ « Le seigneur des martyrs ») le deuxième fils d’Ali et Fâtimah, est né en 625. Après le martyre de son frère, l’Imam Hassan al-Modjtaba, il devint Imam par Ordre divin et selon la volonté de son frère. L’Imam Hossein fut Imam pour une période de dix ans, dont la totalité, excepté les six derniers mois, coïncida avec le califat de Mu’awiyah.
L’Imam Hossein vécut dans des conditions de répression et de persécution des plus pénibles. Ceci parce que les lois religieuses avaient perdu beaucoup de leur poids et de leur crédit, alors que les édits du gouvernement omeyyade avaient acquis une puissance et une autorité totale.
De plus, Mu’awiyah et ses collaborateurs utilisèrent tous les moyens possibles pour écarter définitivement du pouvoir la famille du prophète et les Chiites, et supprimer ainsi le nom d’Ali et celui de sa famille. Par-dessus tout, Mu’awiyah voulait renforcer l’assise du califat de son fils, Yazid, auquel un important groupe de musulmans était défavorable, en raison de son manque de principe et de scrupules. Afin d’écraser toute opposition, Mu’awiyah prit de nouvelles mesures plus sévères
Une lutte de pouvoir occupe la sphère politique du monde musulman durant les années succédant la mort du Prophète (P). Ce conflit puise son origine d’un désaccord concernant sa succession, revenant au calife selon les Sunnites, à l’Imam selon chez les Chiites.
L’Imam Hossein dut endurer toutes sortes d’humiliations de la part de Mu’awiyah et de ses collaborateurs. Jusqu’à ce qu’au milieu de l’année 679, Mu’awiyah mourut et que son fils Yazid prit sa place. Prêter allégeance (bay’ah) était une vieille pratique arabe accomplie dans les occasions importantes, telles que l’intronisation d’un nouveau roi. Ceux qui étaient gouvernés, et surtout les plus connus d’entre eux, donnaient leurs mains en signe d’allégeance, de consentement et d’obéissance à leur prince ou leur roi, leur manifestant ainsi leur approbation.
Le désaccord après l’allégeance était considéré comme un déshonneur pour une tribu, de même que résilier un contrat après l’avoir signé officiellement était considéré comme un crime. Suivant l’exemple du Prophète, les gens pensaient que l’allégeance, quand elle était prêtée librement et non par force, faisait autorité. Mu’awiyah demanda aux notables de prêter allégeance à Yazid mais n’imposa pas cette requête à l’Imam Hossein. Il avait dit à Yazid dans ses dernières volontés, que si Hossein refusait de prêter allégeance il devait faire comme si de rien n’était, car il avait bien compris les conséquences désastreuses qu’aurait entrainées le recours à la force.
Mais à cause de son égoïsme et de sa témérité, Yazid négligea le conseil de son père et, immédiatement après la mort de ce dernier, ordonna au gouverneur de Médine d’obtenir de force un serment d’allégeance de l’Imam Hossein, ou alors d’envoyer sa tête à Damas.
Après que le gouvernement de Médine eût informé l’Imam Hossein de cette demande, ce dernier demanda un délai de réflexion avant de répondre et partit dans la nuit avec sa famille vers la Mecque. Il chercha refuge dans le sanctuaire de Dieu, lieu officiel de refuge et de sécurité. Cet événement advint vers la fin du mois de Radjab et le début de Sha’bân de l’an 60 de l’Hégire (au mois mai 680). Pendant près de quatre mois l’Imam Hossein demeura à la Mecque, en réfugié.
Cette nouvelle se répandit à travers tout le monde islamique. D’une part, beaucoup de personnes, lasses des iniquités de Mu’awiyah et mécontentes lorsque Yazid devint calife, écrivirent à l’Imam Hossein. Ils lui exprimèrent leur sympathie. D’autre part, un torrent de lettres commença à affluer, spécialement de l’Iraq et surtout de la ville de Koufa. Ils invitaient l’Imam à aller en Iraq et à accepter de prendre la tête de la population locale. En fait selon eux, Hossein pouvait provoquer un soulèvement et réprimer l’injustice et l’iniquité. Une telle situation était certainement dangereuse pour Yazid.
Bien que tout versement de sang soit formellement interdit dans l’enceinte sacrée de la Mecque, Yazid n’hésite pas envoyer des tueurs à la rencontre de Hossein. Le découvrant, Il décide de rejoindre l’Iraq pour protéger sa famille et ses compagnons.
Le séjour de l’Imam Hossein à la Mecque se prolongea jusqu’à l’époque du pèlerinage, alors que des musulmans de toutes les régions du monde arrivaient par groupes pour accomplir les rites du Hadjdj. L’Imam découvrit que quelques-uns des partisans de Yazid étaient entrés à la Mecque comme pèlerins, avec mission de le tuer pendant les rites du Hadjdj, à l’aide d’armes cachées sous leurs robes spéciales de pèlerins.
L’Imam abrégea les rites du pèlerinage et décida de partir. Il se dressa au milieu de la grande foule des pèlerins et, en un bref discours, annonça qu’il s’apprêtait à partir pour l’Iraq. Dans ce discours, il déclara également qu’il tombera en martyr et demanda aux musulmans de l’aider à atteindre le but qu’il s’était fixé et d’offrir leurs vies sur le chemin de Dieu. Le jour suivant, il partit avec sa famille et un groupe de ses compagnons pour l’Iraq.
L’Imam Hossein était déterminé à ne pas prêter serment d’allégeance à Yazid et savait très bien qu’il sera tué. Il était conscient que sa mort était inévitable en face de la puissance militaire effrayante des Omeyyades, favorisée par la corruption dans certains secteurs, le déclin spirituel, le manque de volonté dans le peuple, surtout en Iraq.
Certaines des personnes en vue de la Mecque se tinrent sur le chemin de l’Imam pour le mettre en garde des dangers que comportait son voyage. Il répondit qu’il refusait de prêter allégeance et d’approuver un gouvernement injuste et tyrannique. Il ajouta qu’il savait que, où qu’il aille, il serait assassiné et qu’il quittait la Mecque pour préserver la maison de Dieu et éviter que son sang y soit versé.
Sur le chemin de Koufa et à quelques jours de marche de la ville, il reçut la nouvelle que l’agent de Yazid à Koufa avait exécuté le représentant de l’Imam dans la cité ainsi que l’un de ses sympathisants bien connu à Koufa. Leurs pieds avaient été attachés et ils furent trainés dans les rues. La ville et les environs avaient été placés sous stricte surveillance et d’innombrables soldats de l’ennemi attendaient Hossein. Il n’y avait pas d’autre choix pour lui que d’avancer vers la mort. Ce fut là que l’Imam exprima sa ferme détermination d’aller de l’avant et de mourir en martyr.
Conscient du danger le menaçant, Hossein ne fuit pas ses responsabilités et prévoit son martyre à venir. Certains décide alors de l’abandonner et seul restent les plus fidèles qui mourront à ses côtés le jour d’Achoura.
A soixante-dix kilomètres de Koufa, dans un désert nommé Karbala, l’Imam et son entourage furent encerclés par l’armée de Yazid. Pendant huit jours, ils demeurèrent là, alors que l’encerclement se rétrécissait et que le nombre des ennemis augmentait. Finalement l’Imam, avec sa famille et un petit nombre de ses compagnons furent encerclés par une armée de trente mille soldats.
Durant ces jours, l’Imam fortifia sa position et fit une sélection parmi ses compagnons. La nuit, il appela ses compagnons. En une brève allocution, il déclara qu’il n’y avait rien à espérer sinon la mort et le martyre. Il ajouta que, puisque l’ennemi ne s’intéressait qu’à sa propre personne, il les libérait de toute obligation. S’ils désiraient fuir dans l’obscurité de la nuit, ils pouvaient sauver leur vie.
Ensuite, il ordonna d’éteindre les lumières et la plupart de ses compagnons, qui l’avaient rejoint par intérêt personnel, se dispersèrent. Seuls restèrent une poignée de ceux qui aimaient la vérité – environ quarante parmi ses proches collaborateurs – et quelques-uns des Banu Hâchim.
De nouveau, l’Imam rassembla ceux qui restèrent et les soumit à une épreuve. Il s’adressa à eux, compagnons et proches hachémites, leur répétant que l’ennemi ne s’intéressait qu’à sa personne. Chacun pouvait tirer avantage de l’obscurité de la nuit et échapper au danger. Mais cette fois, les fidèles compagnons de l’Imam Hossein répondirent, chacun à sa manière. Ses compagnons ne voulaient pas dévier un seul instant du chemin de la vérité dont l’Imam était le guide. Ils ont décidé de ne jamais l’abandonner. Ils dirent qu’ils défendraient sa famille jusqu’à dernière goutte de sang. Et aussi longtemps qu’ils pourraient tenir un sabre à la main.
Au neuvième jour du mois, un dernier ultimatum l’invitant à choisir entre « prêter serment d’allégeance ou la guerre » fut adressé à l’Imam par l’ennemi. L’Imam demanda un délai pour prier toute la nuit et se détermina à entrer dans la bataille le jour suivant.
Au jour d’Achoura (octobre 680), l’Imam s’aligna en face de l’ennemi avec son petit groupe de fidèles. Parmi ses fidèles il y avait 90 des compagnons, de sa famille hachémite et 30 membres de l’armée ennemie. Ceux-ci l’avaient rejoint pendant la nuit et le jour de la bataille enfants, frères, neveux, nièces et cousins.
Ce jour-là, ils se battirent jusqu’à leur dernier souffle. L’Imam Hossein, les jeunes hachémites et ses compagnons tombèrent tous en martyrs. Parmi ceux qui furent tués figuraient deux enfants de l’Imam Hassan. Ils n’avaient que de treize et onze ans. Il y avait aussi un enfant de cinq ans et un nourrisson, tous deux fils de l’Imam Hossein.
Après le massacre des siens, le corps de l’Imam Hossein sera décapité et sa tête envoyée à Yazid. Cet événement aura un retentissement à travers l’ensemble du monde musulman. Il produisit un véritable bouleversement et, plutôt que d’anéantir le Chiisme, suscita une véritable renaissance.
L’armée de l’ennemi, après la fin de la bataille, pilla le harem de l’Imam Hossein et brûla ses tentes. Elle décapita les corps des martyrs, les dévêtit et les jeta sur le sol sans les enterrer. Ensuite, elle emmena les membres du harem – des femmes et des filles sans défense – ainsi que les têtes des martyrs, à Koufa.
Parmi les prisonniers, il y avait trois hommes de la famille de l’Imam. L’un de ses fils, âgé de vingt-deux ans, qui était très malade et incapable de bouger, Ali Ibn Hussein, le futur quatrième Imam. Le fils de ce dernier, alors âgé de quatre ans, Mohammad Ben Ali, qui devait devenir le cinquième Imam. Enfin Hassan Mothannâ, le fils du deuxième Imam qui était également le beau-fils de l’Imam Hossein. Il gisait blessé pendant la bataille, parmi les morts. On l’a trouvé presque mourant et grâce à l’intervention d’un général ne fut pas décapité. On l’emmena plutôt avec les prisonniers à Koufa et de là à Damas pour paraitre devant Yazid.
L’événement de Karbala, la capture des femmes et des enfants de la maison du Prophète, leur déplacement de ville comme prisonniers et prisonnières et les discours prononcés par Zaynab, la fille d’Ali, ainsi que par le quatrième Imam, tous deux au nombre des prisonniers, provoquèrent la disgrâce des Omeyyades. De tels abus envers la famille du Prophète neutralisèrent la propagande soutenue par Mu’awiyah depuis des années. L’affaire prit de telles proportions que Yazid désavoua et condamna publiquement les actions de ses agents.
L’événement de Karbala joua un rôle majeur dans le renversement du gouvernement omeyyade, bien que son effet fût retardé. Il renforça également les racines du Chi’isme. Comme conséquence immédiate, il y eut les révoltes et les guerres sanglantes qui se poursuivirent pendant douze années. Parmi ceux qui causèrent la mort de l’Imam Hossein, aucun ne put échapper à la vengeance punitive.
Quiconque étudie attentivement la vie de l’Imam Hossein et de Yazid et les conditions régnantes à l’époque, se convaincra que l’Imam Hossein n’avait d’autre choix que de se faire martyriser. Jurer serment d’allégeance à Yazid aurait signifié une démonstration publique de mépris envers l’Islam, chose impossible pour l’Imam. Car Yazid, non seulement ne manifestait aucun respect pour l’Islam et ses commandements mais encore, foulait publiquement aux pieds, sans la moindre pudeur, ses fondements et ses lois.
La martyrologie tient chez les Chiites une place prépondérante et essentielle. Elle soude les croyants entre eux, détentrice du témoignage d’une souffrance commune et partagée, répondant aux échos des douleurs rencontrées dans le monde du Sensible, c’est-à-dire le monde réel.
Les prédécesseurs, même s’ils s’opposaient aux règles religieuses, le faisaient toujours en conservant les apparences de la religion. Ils respectaient la religion au moins dans ses formes extérieures. Ils s’enorgueillissaient d’être des Compagnons du Prophète et des autres saints personnages en lesquels le peuple avait confiance. De ceci, on peut conclure du caractère erroné de l’opinion de certains interprètes de ces événements. Selon eux, les deux frères, Hassan et Hossein, avaient des goûts différents. L’un choisissait la voie de la paix et l’autre la voie de la guerre. D’où l’un des frères fit la paix avec Mu’awiyah tout en étant fort d’une armée de quarante mille hommes. Alors que l’autre partit en guerre contre Yazid avec une armée de quarante hommes.
Il faut reconnaître que si l’Imam Hassan ou l’Imam Hossein avaient combattu Mu’awiyah, ils seraient morts sans aucun bénéfice pour l’Islam. Leur mort n’aurait eu aucun effet face à la politique extérieurement droite de Mu’awiyah. Ce politicien «compétent» soulignait le fait qu’il était Compagnons du Prophète, «scribe de la révélation», et «oncle des croyants». Malgré tout, il usa de tous les stratagèmes possibles pour conserver une apparence religieuse à son règne. De plus, avec son habileté de metteur en scène, tout comme il avait tenté de simuler la vengeance de l’assassinat du troisième calife.