Chaharshanbe Suri est l’une des grandes fêtes de joie chez les perses. Dans la culture de la Perse antique, la joie était sacrée. L’existence de nombreuses fêtes comme Charshanbe Suri et Norouz, nous le prouve. Bien que les perses aient oublié d’autres fêtes mais ces deux ont gardé leur place primordiale. Pourtant cet oubli vient de l’opposition de la nouvelle religion et des gouverneurs musulmans. Surtout, ils les avaient oubliées après arrivée de l’islam en Iran. Au contraire de cet oubli historique, certaines aient pris d’autres formes. Mais Charshanbe Suri et Norouz restent encore vivantes en Iran. Charshanbe Suri et Norouz ainsi que les coutumes liées à elles se considèrent deux grandes fêtes nationales des Iraniens.
Une des plus grandes coutumes avant la fête de Norouz était la fête de Suri, une des fêtes du feu qui a gardé son identité malgré les vicissitudes de l’histoire. Cette fête somptueuse a lieu chaque année avant Norouz.
Le mot persan Jashn ou Suri (la fête) est synonyme de louange et d’éloge. Ce mot a donc une connotation religieuse et évoque les cérémonies rituelles. Donc, la joie en soi a un don divin. Ainsi, les fêtes comme Charshanbe Suri se considèrent comme des louanges à Dieu. Donc, la gaité régnait et l’on dansait.
A l’occasion des fêtes et des Suris, les gens se réunissaient, chantaient pour la paix des morts, louaient Dieu. À la fin, ils s’adonnaient à la danse, ils mangeaient et buvaient.
Les fêtes comme Charshanbe Suri dans la Perse antique créaient la solidarité entre les gens. En effet à cette occasion, ils se retrouvaient et s’entraidaient.
Le quotidien des anciens Perses était jalonné par de nombreuses fêtes dont les fêtes du feu.
Les fêtes du feu constituent une catégorie importante des fêtes iraniennes. Un feu s’allumait dès le début pour provoquer la joie des participants.
Le feu se considérait comme le symbole de la clarté, de la pureté, de la vie et de la santé. De plus, il représentait Dieu. D’ailleurs, la laideur, la maladie et les désastres s’appartenaient au domaine des ténèbres. Donc Ahriman, esprit démoniaque les symbolisaient. Les Iraniens croyaient qu’allumer le feu mettrait fin aux maladies, à la pauvreté et aux souffrances dues à Ahriman. Ainsi, elles disparaitraient grâce à la chaleur du feu, symbole d’Ahura.
Parmi les fêtes du feu, on peut mentionner Sadeh et Suri. Dans cet article, nous allons présenter la fête de Suri plutôt souvent appelée Chaharshanbe Suri.
Le mot « Sur » a divers sens en persan : la joie, la couleur rouge, le toit, le bastillon et le rempart. Chose intéressante, tous ces sens se présentent dans la fête de Suri.
Chaharshanbe Suri avait lieu pendant les derniers jours de l’année afin d’accueillir Norouz. Les Iraniens croyaient qu’à l’occasion de la résurrection de Norouz, les anges Fravashis venaient sur la terre. Ainsi, ils étaient présents à côtés des hommes. Selon les Iraniens, ils surveillaient le nettoyage des maisons pour la fête de Norouz. Leur satisfaction dépendait s’ils trouvaient la maison propre. Le cœur du propriétaire dépourvu de rancune, Ils priaient alors pour la prospérité de la maison. Ils priaient aussi pour la santé et le bonheur de son propriétaire.
Cette fête de Suri (Chaharshanbe Suri) permettait de dire adieu aux Fravashis qui devaient retourner au ciel.
Pendant cette fête, les membres de la famille commençaient par aller à la salle de bains. Puis ils s’habillaient de neuf. Le soir, ils allaient sur le toit, allumaient un feu et louaient Dieu. Le feu marquait le commencement de la fête. Les Iraniens croyaient que la lumière dégagée par le feu guidait les Fravashis pour regagner le ciel.
A côté du feu, on mettait des aliments propres à cette fête. Le plus important était un mélange de fruits secs appelé « Lork » ou « sept graines ». Ils les préparaient pour être offert aux Fravashis.
Après leur départ et les louanges, la fête se poursuivait jusqu’à l’aube.
Mais quel jour la fête de Suri avait-elle lieu ?
D’après les calendriers antiques iraniens, chaque année comprenait 12 mois et chaque mois 30 jours. Mais vu que l’année solaire comprend 365 jours, les Iraniens considéraient à part les 5 jours restants. Donc, ils appelaient « Panjeh » (qui venait du mot cinq) ou « Behizak ». Chacun de ces jours portait le nom d’un des Gathas[1] du zoroastrisme.
Pour accueillir le printemps, les Iraniens avaient deux « Panjeh ». Le petit Panjeh commençait dix jours avant Norouz. Il durait pendant cinq jours, c’est-à-dire du vingt-six au trente Esphand. Mais le grand Panjeh commençait cinq jours avant Norouz.
Nous ne savons pas exactement la date de la fête de Suri (Chaharshanbe Suri). Mais les Iraniens nettoyaient leur maison pour accueillir le printemps et se préparaient de nouveaux vêtements pendant le petit Panjeh. Selon leur croyance, les Fravashis venaient à ce moment-là chez eux pour observer leurs activités et prier pour eux.
On peut donc dire que la fête de Suri (Chaharshanbe Suri) avait lieu pour dire adieu aux Fravashis. Ils le fêtaient pendant les jours du grand Panjeh durant les cinq jours qui précédaient la nuit de Norouz.
Actuellement, la fête de Suri a lieu pendant la nuit du dernier mercredi de l’année. C’est pourquoi elle s’appelle Chaharshanbe Suri. Mais pourquoi un mercredi ?
Dans le calendrier antique iranien, la division de l’année était basée sur le jour et le mois. Autrement dit, le concept de semaine n’existait pas. Chaque jour portait son propre nom. Ainsi, les noms actuels des jours de la semaine (équivalents de lundi, mardi, …) n’existaient pas. Cela prouve que ce nom de Chaharshanbe Suri n’a pas son origine dans la Perse antique. Il date de la période islamique.
A propos du changement de la date et du nom de la fête de Suri pendant la période islamique, les avis sont partagés. Certains pensant qu’il y avait des raisons religieuses. Mais le plus probable vient du fait que les Arabes musulmans, considéraient le mercredi comme un jour funeste. Mais, les Iraniens restaient très attachés à leurs fêtes traditionnelles. C’est pourquoi ils choisirent la nuit du dernier mercredi de l’année pour la fête de Suri (Chaharshanbe Suri). Cela leur permettait de fêter Suri, puis la nouvelle année dans la foulée. En plus, ils ont pu obtenir le soutien des gouverneurs musulmans. Car ils ont transformé ce jour néfaste pour eux en un jour de prospérité. Les iraniens ont fait grâce à la présence du feu et à l’arrivée de la nouvelle année.
Chaharshanbeh Suri est, comme toutes les autres fêtes iraniennes, l’occasion de respecter certaines coutumes chaque année. De nombreuses cérémonies actuelles de Chaharshanbe Suri ont un aspect symbolique. On peut en citer certaines qui se pratiquent toujours : cadeaux offerts aux Fravashis et aux esprits des morts. Vœux pour la paix des morts se pratiquent aussi. Le feu sur le toit est le rite répandu encore chez les zoroastriens et les villageois afin d’orienter les Fravashis. La distribution de fruits secs se fait aussi. Nous allons étudier certaines de ces coutumes :
Le feu est l’élément principal de Chaharshanbe Suri. Dans la Perse antique, il y avait des personnes appelées « faiseurs de feu ». Quelques jours avant la fête de Suri (Chaharshanbe Suri), elles allaient dans les villes et les villages. Ils voulaient préparer les habitants à célébrer cette fête. Ces personnes étaient des hommes ou des femmes, artistes. Ils amusaient les gens en faisant du théâtre dans les rues, en chantant et en dansant.
Aujourd’hui, dans différentes régions d’Iran, on fait trois feux pendant la nuit de Chaharshanbe Suri. Chacun présente symboliquement des trois grands conseils de Zoroastre. Ce sont « Bonne pensée, bonne parole, bonne action ». Dans d’autres provinces, Il y a sept feux en tant que les symboles des sept Amesha Spentas[2]. Chaque personne saute au-dessus de ces feux en chantant avec tous les participants. Elle dit : « Je te donne ma couleur jaune, tu me donnes ta couleur rouge ». La couleur jaune correspond à la maladie et aux difficultés. Mais le rouge symbolise la force et la santé. Par cet hymne particulier, on demande au feu de donner sa force et de se charger, en contrepartie, des maladies.
Des petites nuances existent dans certaines régions. Au Kurdistan, le feu s’allume en haut des montagnes. Les filles et les garçons kurdes se rassemblent autour. Ils chantent, main dans la main, leurs chants traditionnels et font des danses kurdes. Il faut mentionner que les Kurdes font ce feu la dernière nuit de l’année, ce qui est plus proche de la fête antique de Suri.
Dans certaines villes du Khorasan, comme Sabzevar, en plus de sauter au-dessus du feu, on lance des boules de feu. Les habitants de cette ville, font de grosses boules de bois, les embrasent et les jettent d’une hauteur. Ils chantent « Va-t’en la tristesse, viens la joie, va-t’en la douleur, viens la prospérité ». Ainsi ils espèrent avoir une année pleine de joies et de prospérité.
Après le rite du feu, on met du charbon, symbole de la misère. Puis, on y ajoute du sel, symbole du mauvais œil, et une pièce dans une cruche. Chacun des membres de la famille fait tourner cette cruche autour de sa tête. Enfin, ils la jettent du toit pour éloigner la misère, le mauvais œil et la pauvreté de la famille.
Acheter des fruits secs est un rite important de Chaharshanbe Suri. Bien sûr, ce geste a un aspect allégorique. Celui qui a des difficultés achète ces fruits secs et les distribuent en faisant un vœu. On croit que cela va permettre de résoudre les problèmes et protéger cette personne du mauvais œil.
Cela n’est que la perpétuation de la cérémonie au cours de laquelle des lorks étaient offerts aux Fravashis dans la Perse antique.
Ces fruits secs s’appellent aussi « sept graines » car le Lork se compose de sept fruits. Au-dedans il y a pistache, amande, fruit de l’olivier de Bohême, raisin sec, noix, pêche sèche, figue ou datte. Aujourd’hui, on ajoute d’autres choses comme la noix de coco, l’abricot sec, etc.
Pendant (Chaharshanbe Suri), les jeunes restaient debout sous les toits ou dans les lieux peu fréquentés de la maison. Ils espéraient que les Fravashis qui se trouvaient chez eux, leur prédiraient l’avenir. En effet, ils croyaient que les morts connaissaient l’avenir. Aujourd’hui, ce sont les jeunes filles qui pratiquent ce rite.
Ce rite appelé « Battre la louche » dans certaines régions, se pratiquaient par les femmes. Elles se couvraient le visage d’un voile. Ensuite, elles venaient à la porte des autres avec un bol vide et une cuillère à la main. Elles tapaient la cuillère sur le bol ou sur la porte pour avertir le propriétaire de la maison. Les gens de la maison prenaient le bol et mettaient dedans de quoi préparer le potage. Les femmes qui battaient la cuillère devaient aller, chacune, à sept portes, en restant incognito. Personne ne parlait. Aujourd’hui, les hommes aussi participent à ce rite en couvrant également leur visage. Parfois, le propriétaire de la maison leur donne de l’argent.
Pendant Chaharshanbe Suri, une coutume consistait à faire un potage iranien. A vrai dire, ce rite « Battre la cuillère » avait pour but de fournir les ingrédients de ce potage. Celui qui souhaitait quelque chose, préparait ce potage et le distribuait aux autres pour obtenir ce qu’il désirait. Le point fort de cet usage est que l’on se prête main-forte entre voisins.
Ces deux coutumes ressemblent à la précédente. En fait, ce sont des formes locales de « Battre la cuillère ».
« Jeter le cacolet » se faisait souvent en Azerbaïdjan iranien. Les jeunes faisaient des petites boîtes en papier peint en forme de cacolet[3] auxquelles ils attachaient une corde. Ensuite, ils allaient sur les toits et faisaient pendre le cacolet devant les fenêtres des maisons. Le propriétaire y mettait des sucreries ou des fruits secs, après quoi les jeunes ramenaient le cacolet sur le toit.
« Jeter le châle » était une coutume propre aux villages de la région de Téhéran ou des régions centrales de l’Iran. Les jeunes gens qui avaient une fiancée, faisaient pendre leur châle du toit de la maison de leur fiancée. Ensuite, le père y mettait des gâteaux ou de l’argent et le nouait. Là encore, les jeunes qui jetaient le cacolet ou le châle devaient le faire sans se faire reconnaitre.
Il est clair que ces coutumes restées vivantes sous diverses formes, sont les héritières de la tradition antique. Celle-ci, comme on l’a dit, consistait à faire des cadeaux ou offrandes aux Fravashis. Les personnes qui battent la cuillère, jettent le cacolet ou le châle sont des allégories de ces anges gardiens. Ils présentent des esprits qui doivent rester invisibles et ce qu’elles reçoivent se réfère aux cadeaux offerts aux Fravashis.
Les croyances et les coutumes de Chaharshanbe Suri ne se limitent pas aux rites ci-dessus. Certaines d’entre elles ont été oubliées en raison de leurs aspects superstitieux. En guise d’exemple, on peut mentionner une tradition intéressante. Celle-ci consistant dans le fait de présenter des demandes au Canon de perle (Toup Morvarid) sous les Qadjars[4]. C’était un grand canon militaire situé sur la place « Arg » de Téhéran. Certains disent que son nom venait du fait que quelques fils de perle étaient attachés à sa bouche. Il se trouve aujourd’hui devant l’édifice numéro sept du Ministère des affaires étrangères.
Ce canon avait une grande importance pour le peuple que, sous les Qadjars. Les gens lui présentaient leurs demandes. Pendant la nuit de Chaharshanbe Suri, les femmes et les jeunes filles donnaient aux gardiens de ce canon des gâteaux. Elles donnaient aussi de l’argent ou des pains de sucre. Car elles avaient l’intention de s’en approcher et lui attacher un Dakhil[5]. Elles croyaient que cela les aiderait à trouver l’amour et à se marier.
En effet, il y a un manuscrit posthume du grand écrivain iranien, Sadegh Hedayat, intitulé « Toup Morvarid » Il le considère comme un bon signe de la situation politique et sociale de l’époque. Par conséquent, il critique cette coutume répandue parmi le peuple.
Bref, la fête de Suri (Chaharshanbe Suri) a lieu juste avant Norouz aux quatre coins de l’Iran. Cependant, plus nous nous éloignons des grandes villes et allons vers les petites villes ou les villages, plus les rites et les traditions ancestrales sont respectés et les fêtes somptueuses, par exemple chez les Turcs et les Kurdes.
Cette
fête qui plonge ses racines dans l’Iran antique, ainsi que celle de Norouz sont
si importantes pour les Iraniens que ceux qui habitent loin de leur pays en
Europe, aux Etats-Unis ou au Canada les célèbrent tous les ans.
[1]. Ce mot veut dire la chanson. Les Gathas sont les chants de méditation attribués à Zarathoustra ou Zoroastre, prophète de la Perse antique.
[2] Six grands anges sous l’ordre d’Ahura Mazda : Bahman, Ordibahaesht, Shahrivar, Sepandarmaz, Khordad, Amordad. Avec Ahura, ils deviennent sept Amesha Spentas, protecteurs du monde et de l’homme.
[3] Un cacolet est un bât en bois placé sur le dos des chameaux sur lequel une ou deux personnes peuvent s’asseoir.
[4] . Une dynastie monarchique iranienne (1789-1925).
[5] . Un morceau de tissu qu’on noue à un arbre ou au mausolée d’un saint afin de présenter ses souhaits.